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respectueusement à l’empereur, avec l’invariable volonté de la maintenir, une renonciation à la couronne qu’il ne pouvait plus porter avec honneur. Des avertissemens éclatans étaient alors les seuls services que les princes de sa famille pussent adresser à Napoléon, emporté par le vertige de la gloire et de la puissance. Joseph avait déjà formulé cette résignation deux années auparavant à l’occasion de dissidences beaucoup moins sérieuses[1], et ce qu’il y avait eu en 1808 d’imprudent et d’exagéré dans ses paroles et dans ses actes fût devenu légitime et politique en 1810, en présence des intentions manifestées par l’empereur; mais, arrêté par l’irrésistible ascendant que la vo- lonté de son frère exerçait sur lui, Joseph ne sut qu’exhaler ses plaintes amères sans conclusions et sans effet. Vingt fois il offrit de descendre du trône, annonçant même qu’il y était invariablement résolu[2]; mais soit confiance dans des promesses toujours trompées par l’événement, soit appréhension de créer des embarras à une politique devant laquelle commençaient à éclater de toutes parts les orages qu’elle avait elle-même accumulés, soit enfin difficulté de rentrer convenablement dans la vie privée après avoir occupé deux trônes, jamais Joseph ne fit suivre ses plaintes d’une résolution décisive, et, entraîné par les événemens, il semble, de guerre lasse, renoncer à les dominer. L’empereur ne se préoccupa plus des réclamations du roi d’Espagne que pour les éluder par des satisfactions apparentes, ou pour témoigner avec éclat toutes les irritations qu’elles lui causaient. Ainsi se perpétua, jusqu’au jour de la catastrophe, d’un côté une indifférence hautaine et dédaigneuse, — de l’autre une attitude comminatoire, mais indécise, qui ne saurait être longtemps gardée sans que les plus honorables caractères y perdent quelque chose de leur sérieux et de leur. dignité. On éprouve cette pénible impression à la lecture des derniers volumes de cette correspondance, toute pleine de récriminations qui restent sans réponse, et de menaces d’abdication auxquelles il n’est donné aucune suite.

Le roi d’Espagne prit le parti de tenter enfin près de l’empereur une démarche personnelle. Convaincu qu’en communiquant directement

  1. Je citerai ici cette première lettre du 8 décembre 1808. Elle peut être considérée comme le type de toutes celles qui remplissent cette longue correspondance, et auxquelles l’empereur Napoléon ne crut jamais devoir répondre :
    « La honte couvre mon front devant mes prétendus sujets. Je supplie votre majesté de recevoir ma renonciation à tous les droits qu’elle m’avait donnés au trône d’Espagne. Je préférerai toujours l’honneur et la probité au pouvoir si chèrement acheté. En dépit des événemens, je serai toujours votre frère le plus affectionné, votre ami le plus tendre. Je redeviens votre sujet, et attends vos ordres pour me rendre où il plaira à votre majesté que je me rende. »
  2. Voyez spécialement les lettres des 10 septembre et 18 novembre 1810, du 24 décembre 1811 et du 23 mars 1812.