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prétendue neutralité équivaut à l’instant à une hostilité véritable : hostilité contre l’Autriche, dont elle paralyse la liberté d’action; hostilité contre les puissances occidentales, dont elle inquiète et entrave le plus efficace allié. Ainsi, bon gré mal gré, par la force des choses, l’Allemagne est dans le débat, elle ne peut pas s’y soustraire : elle n’a que le choix de ses amis et de ses ennemis.

La position de la confédération germanique au centre du continent, avec une population compacte de soixante-dix millions d’âmes, ne lui permet point de rester en dehors des grandes questions européennes; mais la nature de sa constitution organique donne à son intervention des influences et des caractères bien différens, suivant qu’elle est unie ou divisée dans son propre sein. Formée d’une ligue d’états qui conservent, à travers un léger lien fédéral, la diversité de leurs intérêts et l’indépendance de leurs vues, l’Allemagne est une combinaison politique lente à mouvoir, difficile à réunir dans une même pensée, plus difficile encore à enflammer d’une même passion. Quand les membres de ce grand corps sont unis, il est incontestable que l’Allemagne apporte dans les affaires de l’Europe non-seulement une force décisive, mais une grande force modératrice. La complication des rouages et la multiplicité des frottemens font de cette machine un frein à toute politique impétueuse et téméraire. Quand au contraire l’Allemagne se divise, elle ajoute à la perturbation générale le chaos de son anarchie intérieure. Si l’Allemagne unie peut tout régulariser, l’Allemagne divisée embrouille tout. Si l’Allemagne unie peut conjurer toutes les crises, l’Allemagne divisée les envenime, les enchevêtre et les éternise. C’est alors qu’elle devient le foyer de ces vastes guerres qui embrasent l’Europe entière, et que pendant sept ans, dix ans, trente ans, elle leur livre son territoire pour champ de bataille.

De ces deux influences, l’une rassurante pour l’Europe et bienfaisante pour l’Allemagne, l’autre grosse de difficultés nouvelles et de périls futurs, quelle est celle que la confédération germanique se décidera enfin à exercer dans la guerre actuelle ? Certes, quand on compare les conséquences de l’une ou de l’autre alternative, on ne comprend pas que l’hésitation ait été possible, et qu’elle ait déjà duré si longtemps. L’union franche et active de la confédération avec la politique autrichienne et, par l’Autriche, avec les puissances occidentales ne pouvait avoir que deux résultats, ou rendre la paix à l’Europe sur-le-champ, ou circonscrire et abréger la guerre. S’il restait un dernier espoir d’amener l’empereur Nicolas à renoncer à sa funeste politique, c’était, comme l’Autriche l’a compris, l’adhésion prompte et ferme de l’Allemagne à la cause, soutenue par la France et l’Angleterre. L’Allemagne eût ainsi fourni un moyen