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miss Clinton. Bien souvent dans ses longs voyages, pendant son séjour dans les capitales européennes, son cœur avait failli être pris. Tant de beaux visages avaient passé sous ses yeux! Mais l’image de Gerty l’avait sauvé de toutes les séductions. Tout se termine comme dans les livres d’autrefois par un double mariage, celui de Gertrude avec Willie et celui de Philip Amory avec l’aveugle Emily. Et ainsi se trouve réalisée cette parole de l’oncle True : « Sois gai, petit oiseau, car je suis de cette opinion, que tout finira par s’arranger. » Le roman se termine par quelques pages charmantes, expression d’un bonheur sérieux et religieux, où le souvenir des morts chéris et des épreuves passées vient jeter une ombre de mélancolie.


« — Venez, Gerty, dit Willie, venez à la fenêtre, et voyez quelle belle nuit!

« Penchée sur l’épaule de Willie, Gertrude regarda le ciel jusqu’à ce que le disque de la lune fût visible dans un brillant espace bleu, clair et sans nuages. Ils ne parlèrent pas, mais leurs cœurs battaient des mêmes émotions en pensant aux jours passés.

« En ce moment, l’allumeur de gaz passa rapidement, alluma comme par un attouchement électrique les lanternes qui bordaient la rue, et en un instant tout fut resplendissant de lumière.

« Gerty soupira. — La tâche du pauvre oncle True n’était pas aussi facile, dit-elle. Il s’est fait bien des progrès depuis lui.

« — Oui vraiment, dit Willie en jetant un regard sur le comfortable salon de leur demeure et en reposant ensuite ses yeux sur le visage de la bien-aimée dont la physionomie rayonnante réfléchissait son propre bonheur; oui, des progrès comme nous en rêvions autrefois. Je voudrais que le cher vieillard fût là pour les voir et en jouir avec nous.

« Une larme jaillit de l’œil de Gertrude, mais elle pressa le bras de Willie et lui montra religieusement une belle et brillante étoile qui sortait en ce moment d’un nuage argenté sous lequel elle avait été jusque-là à demi cachée, l’étoile dans laquelle Gertrude avait toujours cru reconnaître le sourire du bon vieillard.

« — Cher oncle True ! dit-elle, sa lampe brille encore dans le ciel, Willie, et sa lumière ne s’est pas encore éteinte sur la terre. »


Le grand mérite du Lamplighter consiste tout entier, selon nous, dans le caractère de Gerty, et c’est là le point que nous avons surtout voulu mettre en lumière. Gerty, c’est le triomphe de la naïveté et de la simplicité sur l’esprit mondain. C’est là la leçon morale qui ressort pour nous de ce livre, et que miss Cumming y a mise peut-être à son insu. Rien ne résiste à la patience de la jeune fille; les dédains, les humiliations, le malheur, se lassent devant cette résignation. Gerty traverse le monde comme les peintres du moyen âge nous représentent les vierges et les saintes, sans crainte au milieu des bêtes du désert qui les regardent passer avec étonnement, et qui s’approchent, domptées par l’énergie de la douceur, pour lécher leurs pieds