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un tas de verre et de faïence cassés, et, comme le déclara Brigitte, brisés en mille pièces. Le bonnet, qu’on avait déclaré rongé par les vers, avait été condamné aux flammes ; quant aux autres objets, Brigitte ne savait ce qu’ils étaient devenus, mais elle croyait bien les avoir laissés dans le feu. Tout cela était accompli par les ordres de mistress Ellis. Gertrude laissa partir Brigitte sans lui faire soupçonner la grandeur de sa perte, puis, fermant la porte, elle se jeta sur son lit et donna cours à ses larmes.

« — C’était donc pour cela que mistress Ellis avait favorisé mon plan, et j’étais assez folle pour penser que c’était par bonté pour moi ! Elle voulait venir dans ma chambre pour me dérober, la voleuse !

« Elle se leva de son lit aussi soudainement qu’elle s’y était jetée, et se dirigea vers la porte, puis une nouvelle pensée sembla la saisir et elle retourna de nouveau vers son lit, et, avec de profonds soupirs, elle tomba à genoux et s’ensevelit la tête dans ses mains. Une ou deux fois elle leva la tête et sembla sur le point d’aller affronter son ennemi ; mais à chaque fois une pensée traversa son esprit et la retint. Ce n’était pas la crainte, oh ! non, Gerty ne craignait personne ; c’était un motif probablement plus puissant que celui-là. Quel que fût ce motif, il avait certainement une influence adoucissante, car après chaque nouvelle lutte elle devint plus calme. Enfin elle s’assit près de sa fenêtre, appuya sa tête sur sa main et regarda. La fenêtre était ouverte, la pluie avait cessé, et les sourires de la terre rafraîchie se réfléchissaient dans un brillant arc-en-ciel. Un petit oiseau vint, se percha sur une branche d’arbre près de la fenêtre, et entonna un Te Deum. Un lilas de Perse en pleine floraison répandait ses parfums délicieux. Une merveilleuse tranquillité envahit le cœur de Gertrude, qui, au bout de quelques instans, sentit la grâce qui apporte la paix succéder aux passions qui apportent le trouble. Elle avait triomphé, elle avait remporté la plus grande des victoires de la terre, une victoire sur elle-même. Le brillant arc-en-ciel, le chant de l’oiseau, le parfum des fleurs, toutes ces belles choses qui réjouissaient la terre après l’orage n’étaient pas de moitié aussi belles que le rayonnement qui se répandit sur la figure de la jeune fille, lorsque, la tempête intérieure qui l’agitait s’étant apaisée, elle leva les yeux au ciel, et envoya vers Dieu le silencieux hommage de son cœur. »


Ce fut là, ainsi que nous l’avons dit, la dernière explosion de l’ancienne Gerty ou Gertrude. À partir de ce moment, un nouvel être se révéla en elle, et pour employer le langage de l’Écriture, elle se sentit renaître de nouveau. Toutefois ce ne fut pas la dernière méchanceté de mistress Ellis. Emily tomba malade, et Gertrude, qui avait l’habitude de passer les journées auprès d’elle, fut exclue de sa chambre. Chaque fois qu’elle se présentait, on lui répondait que miss Emily n’avait pas besoin d’elle. Les fleurs qu’elle envoyait à sa protectrice étaient dédaigneusement jetées dans un coin. Gertrude implora en vain la grâce de soigner son amie. « Ne m’ennuyez plus de vos demandes, lui répondit mistress Ellis ; est-ce que vous entendez quelque chose à soigner les malades ? » Heureusement Gertrude fut accostée un jour à l’improviste, dans le petit jardin que M. Graham lui