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« — Non, dit Gerty, dites-moi pourquoi ?

« — Il est en prière.

« — Est-ce pour cela qu’il a les yeux tournés en haut ?

« — Certainement; il regarde le ciel tout en priant,

« — Il regarde quoi ? dites-vous.

« — Le ciel. Mais quoi ! Gerty, j’aurais cru que vous saviez ce que c’était que prier.

« — Non, dit Gerty; apprenez-le-moi.

« — N’avez-vous jamais invoqué Dieu ?

« — Non, jamais. Ou’est-ce que Dieu ? où est Dieu ?

« Willie se montra blessé de l’ignorance de Gerty et répondit avec respect : — Dieu est dans le ciel, Gerty.

« — Je ne sais pas où est le ciel, dit Gerty; je crois bien que je n’en sais rien.

« — Je ne crois pas que vous le sachiez, dit Willie. Je croyais que le ciel était dans les nuages; mais notre maître d’école dit que le ciel est partout où est le bien, ou quelque chose d’approchant.

« — Les étoiles sont-elles dans le ciel ?

« — On dirait qu’elles y sont; elles sont dans les nuages, où j’avais toujours supposé qu’était le ciel.

« — Je voudrais bien aller au ciel.

« — Vous irez un jour peut-être, si vous êtes bonne.

« — Est-ce qu’il n’y a que les bons qui vont au ciel ?

« — Oui.

« — En ce cas, je n’irai jamais, dit tristement Gerty.

« — Comment donc ? n’êtes-vous pas bonne ?

« — Oh! non, je suis très méchante.

« — Quelle drôle d’enfant! dit Willie. Qu’est-ce qui vous fait penser que vous êtes méchante ?

« — Oh! je suis méchante, dit Gerty d’un son de voix triste. Je suis le plus méchant enfant qu’il y ait au monde.

« — Qui vous a dit cela ?

« — Tout le monde. Nan Gran le dit, et elle prétend que tout le mondes pense comme elle; je le sais bien aussi, moi.

« — Nan Grant, est-ce cette vilaine vieille femme chez qui vous demeuriez ?

« — Oui. Comment savez-vous qu’elle était vilaine ?

« — C’est ma mère qui m’en a parlé. Maintenant, dites-moi, est-ce qu’elle ne vous a pas envoyée à l’école et ne vous a pas appris quelque chose ?

« Gerty secoua la tête négativement. »


Le premier éveil de cette intelligence passionnée et sauvage est vivement décrit dans le roman de miss Cumming. Les longs combats que se livrent le bien et le mal dans cette âme d’enfant, le difficile abandon des pensées de haine et de vengeance, sont dramatiquement retracés, et nous intéressent autant que s’il était question d’une personne d’un autre âge et d’une autre condition. C’est le spectacle de la vie en miniature et vu par le gros bout de la lorgnette. Cette longue résistance de la nature et de l’instinct, du péché