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Employé naguère dans la maison d’un riche marchand, il avait été Blessé grièvement par la chute de quelques lourds ballots. Malgré les soins dont son maître l’avait entouré, il n’avait jamais retrouvé son ancienne vigueur, et il avait été obligé d’accepter les fonctions d’allumeur de réverbères, qu’il remplissait, ainsi que nous l’avons vu, au moment où Gerty avait été chassée du foyer inhospitalier de Nan Grant.

L’oncle True, comme on l’appelait familièrement, n’avait jamais été marié, et il se mit à aimer Gerty avec toute la tendresse d’un célibataire. Il est à remarquer en effet que les célibataires de l’un ou de l’autre sexe, lorsque l’isolement ne les a pas rendus entièrement égoïstes ou n’a pas enfiellé leur cœur, sont de toutes les créatures humaines les plus sensibles et les plus affectueuses. Leurs sentimens, qui n’ont jamais été mis à l’épreuve, sont neufs et simples; leur dévouement n’a jamais été payé d’ingratitude, leur confiance n’a jamais été trahie, la vie n’a pas desséché en eux les sources du cœur. Gerty trouva donc dans l’oncle True plus qu’un père et un protecteur, elle trouva un homme qui épanchait sur elle tous les flots d’amour qui s’étaient accumulés en lui durant sa longue et laborieuse existence.

L’oncle True vivait très solitaire; cependant il avait un petit groupe d’amis, le vieux sacristain Cooper, un grognon à tendances pessimistes, sa fille mistress Sullivan, et une jeune aveugle, fille d’un riche marchand, miss Emily Graham. Tous s’employèrent charitablement en faveur de Gerty. Mistress Sullivan, mère d’un joli petit garçon, fournit à l’orpheline un camarade, et apprit à la petite sauvage à se rendre utile à son bienfaiteur. La chambre du vieux célibataire, naguère en désordre, révéla bientôt par sa propreté la présence d’une femme, et ce ménage singulier, composé d’un vieillard célibataire et d’un enfant abandonné, devint aussi riant qu’il est possible de l’être à la pauvreté. Cependant Gerty effrayait ses protecteurs par son ignorance religieuse et par l’esprit de vengeance qui semblait l’animer. Elle ne savait ce qu’était Dieu, et parlait souvent avec haine de la vieille Nan Grant. Un jour Willie, le fils de mistress Sullivan, lui apporta une petite statuette en plâtre représentant Samuel enfant dans l’attitude de la prière. Cette image la tourmenta longtemps. Qui était cet enfant ? que faisait-il ? qui priait-il ?


« — Comment l’appelez-vous ? dit-elle à Willie.

« — Un Samuel. Ce sont tous des Samuels.

« — Qu’est-ce qu’un Samuel ?

« — C’est le nom de l’enfant qui est représenté.

« — Pourquoi donc est-il à genoux ?

« Willie se mit à rire. — Ne le savez-vous pas ? dit-il.