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précipitera tête baissée vers le miroir aux alouettes que font étinceler la science et l’industrie. Nous sommes à l’heure présente sur la limite extrême qui sépare deux manières de vivre fort différentes : un degré de sensualité et de brutalité de plus chez l’homme, un degré de corruption de plus chez la femme, et c’en est fait des anciennes relations entre les sexes.

Il y a pour ainsi dire de nos jours deux sociétés en présence. L’une est toute morale; nous la sentons fort bien en nous. C’est la société des quelques esprits cultivés, civilisés, moralises, qui existent encore aujourd’hui. Elle comprend quelques millions d’individus sur toute la surface de la terre, lesquels forment comme une grande franc-maçonnerie, et défendent encore une foule de vieilleries telles que la justice, la liberté, les droits de la conscience. Cette société-là est le commencement de celle qui, j’en ai la ferme espérance, vaincra tous les obstacles et obtiendra la protection de Dieu, de celle qui sera la société moderne, fille du temps et de l’histoire, du christianisme et de la science. Malheureusement il y en a une autre qui se prétend faussement fille de la philosophie et de la révolution, et qui n’est que la fille de l’industrie; une société barbare, puérile comme le sauvage, sensuelle comme la bête fauve, affamée de plaisirs, et qui, si on ne trouve pas moyen de la refréner, mettra le monde dans un tel état, qu’un grand miracle seul pourra le sauver. Cette activité effrénée, sans âme et sans cœur, que les Américains expriment par le go ahead, qui existe ailleurs qu’en Amérique, et dont nous sommes beaucoup trop glorieux, produit ces mœurs déplorables, qui menacent de devenir affreuses, si la partie sage et sensée de l’humanité ne s’occupe pas de la régler et de lui donner un but moral. L’industrie est certainement une grande et belle chose, mais jusqu’à présent elle n’a eu ni cœur ni entrailles. — Un illustre Anglais l’a bien nommée un héroïsme sans yeux; elle a besoin d’être pénétrée par l’esprit chrétien pour prendre une âme et perdre ce caractère cruel et implacable qui l’a distinguée jusqu’à présent. Ce serait une belle esquisse à faire que de retracer les changemens accomplis ou en train de s’accomplir dans nos mœurs, nos arts, notre vie morale par la toute-puissance de l’industrie, et cette esquisse faite avec impartialité prouverait incontestablement ce que nous avons avancé, — que si le courant moral n’est pas modifié, le monde est menacé de voir s’établir une société sans noblesse et sans amour. Or une telle société est essentiellement contraire aux instincts de la femme, et si elle s’en alarme, si elle cherche à réagir contre elle, il n’y a pas à s’en étonner. Que les femmes écrivent donc, qu’elles parlent et qu’elles agissent : ce n’est pas nous qui nous en plaindrons. Nous laisserons les pédans et les mondains se récrier