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Après la faute d’avoir appelé son frère au trône d’Espagne, la plus grande faute qu’ait commise Napoléon est de ne l’y avoir pas fait respecter, et l’on ne saurait comprendre la systématique persistance mise à enlever à ce prince le seul moyen d’action qui lui restât sur ses sujets, puisqu’il ne pouvait représenter quelque chose en Espagne qu’en y conservant l’exercice d’un pouvoir indépendant. Durant ce drame de quatre années, Joseph s’efface, malgré ses efforts persistans et désespérés pour représenter quelque chose, entre un pays qui le repousse et une armée qui semble ignorer sa présence. Devenu le bouc émissaire de cette désastreuse affaire d’Espagne, quoiqu’il n’en fût que la victime, il voit chacun rejeter sur lui les dangers issus de ses propres fautes, et il subit toutes les conséquences d’une anarchie qu’on lui laisse à peine le droit de signaler. Depuis longtemps, l’empereur a cessé de répondre à ses protestations comme à ses plaintes, et c’est désormais par l’organe de son major-général et de ses ministres qu’il adresse à celui qu’on nomme encore le roi d’Espagne des ordres destinés à être le lendemain remplacés par des ordres contraires.

Au lieu de chercher à grandir dans l’opinion le prince auquel il imposait la rude tâche de réconcilier avec la France une généreuse nation exaspérée, l’empereur semblait prendre plaisir à le rabaisser, afin de pouvoir imputer à autrui des malheurs qu’il ne permettait pas d’imputer à lui-même. Il rendait justice aux bonnes qualités de Joseph, à la culture de son esprit, à la douceur de ses mœurs, mais il répétait en toute occasion que son frère n’était pas militaire, qu’il était sans expérience de la guerre. En même temps il abreuvait de dégoûts le maréchal Jourdan, quoiqu’il l’eût donné lui-même pour major-général au roi d’Espagne; d’invincibles antipathies contre ce vieux serviteur de la république le décidaient à le maintenir dans une situation d’infériorité vis-à-vis des collègues appelés à recevoir ses instructions dans la Péninsule, et qui tous étaient pourvus de riches dotations et de titres princiers. Aucune force morale ne protégeait donc le centre d’où émanaient, dans ces conjonctures si difficiles, et la direction politique et celle des opérations militaires. Les dispositions d’esprit trop connues de l’empereur énervaient par avance la discipline, et préparaient à chacun des excuses pour ses fautes.

Tel était l’état des choses au moment où les maréchaux employés en Portugal et en Espagne subordonnaient, avec une évidence que cette correspondance rend trop éclatante, l’accomplissement de leurs devoirs militaires au soin de leur fortune et au rêve de leur propre grandeur. Il n’en faut certainement pas davantage pour faire comprendre et le double échec de nos armées en Portugal, et cette longue retraite devant deux nations soulevées, qui des rives du Minho nous