Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/878

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lassitude et le dégoût que les divisions sans terme et les luttes sans fruit des hommes politiques avaient justement produits dans les esprits. Dans cette joute stérile des partis et des fractions de parti, les caractères avaient perdu leur autorité et les talens leur prestige. La coalition surtout avait porté une funeste atteinte au crédit de ceux qui l’avaient faite, et le public ne trouva pas qu’il y eût raison, pour leur rendre le pouvoir, de renverser une administration établie et d’en déposséder le chef qui, pour le mérite éclatant et pour les opinions populaires, n’était au-dessous d’aucun autre.

L’administration de Pitt, de 1784 à 1792, n’est pas la moins belle époque de sa vie[1]; c’est celle assurément où sa manière de gouverner prête le moins au doute et à la critique. L’opposition fut assez souvent embarrassée pour trouver des points d’attaque, et elle ne les choisit pas toujours avec bonheur. L’ordre rétabli dans les finances compromises par l’administration de lord North, la fondation de l’amortissement, le traité de commerce avec la France, sont des mesures honorables pour un gouvernement. Celles qu’on prit à l’égard de la compagnie des Indes méritent moins d’être approuvées. Pitt fut obligé, par le rôle récent qu’il avait joué, de se contenter d’une réforme bâtarde, d’une organisation incohérente qui fondait un double gouvernement, celui de l’état et celui de la compagnie, mais qui, sujette à beaucoup d’objections et d’inconvéniens, s’est améliorée dans la pratique, et a mieux réussi qu’elle ne vaut. Sa politique étrangère fut longtemps à peu près nulle, et ce qui peut surprendre chez un homme de son nom, il parut peu soucieux de détruire ou d’atténuer, par une active diplomatie, les tristes effets de la paix de 1783. Sur ce point, l’esprit de Fox avait plus de vues et de ressources que le sien, et c’est la nécessité seule qui a forcé Pitt à intervenir, comme il a fait depuis, dans les affaires du monde.

Cependant le cours paisible des six premières années de son administration fut troublé par un moment de danger : c’est quand il fallut songer à organiser une régence. Le roi et le prince de Galles suivaient fidèlement la tradition de famille de la maison de Hanovre : le père et le fils vivaient en rupture ouverte. La jeunesse du prince était fort déréglée; ses dettes et ses goûts lui faisaient désirer une indépendance que lui refusaient ou lui contestaient ses parens, car sa mère même avait pris parti contre lui. Il était lié avec les jeunes amis de Fox; Fitzpatrick et Sheridan étaient sa société intime. Il avait appuyé la coalition, soutenu Fox dans le monde et dans les élections. Utile à l’opposition, il trouvait chez elle pour ses faiblesses

  1. Voyez dans la Revue les études de M. de Viel-Castel sur Pitt, n° du 15 avril, 1er mai, 1er et 15 juin 1845.