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naturelle l’aidait à soutenir avec philosophie une situation insupportable.

Sans cesse avertie par la tribune, sans cesse découragée ou éclairée par des revers, l’opinion publique, d’abord si vive contre les Américains, allait se détachant de la politique ministérielle. Les intérêts commerciaux en souffrance désarmaient le patriotisme et tempéraient l’orgueil de la nation. Le parlement, piqué au jeu, enchaîné par ses votes, suivit bientôt le roi par faiblesse ou les ministres par intérêt; mais il sentit par degré baisser son énergie et faiblir sa conviction. On voit par une lettre de Fox que dès 1777 il regardait comme évident que l’opinion de la chambre était maintenant de son côté, et il ne pouvait s’empêcher d’espérer que l’opinion finirait par influer sur le vote. Ce qui, dans une affaire où la persistance sans la conviction se conçoit malaisément, contribuait à perpétuer l’entraînement de la majorité, c’est qu’une publicité incomplète et un système vicieux d’élection allégeaient pour les membres des communes le fardeau de la responsabilité. On laissait celle-ci peser tout entière sur les ministres, et plus la question était grave et difficile, plus on hésitait à la résoudre autrement que le gouvernement, alors que la voix publique ne se faisait pas clairement entendre.

L’opposition, amenée par les faits à épouser chaque jour plus résolument la cause de l’indépendance américaine, était cependant agitée par la crainte de paraître indifférente au péril ou à l’honneur du pays, et, sans cesse sollicitée à des négociations secrètes, elle se divisait comme toujours en esprits qui se refusent à tout, en esprits qui se prêtent à tout. Elle avait plus d’un but : le premier était de limiter l’influence royale, et pour cela diverses réformes devaient supprimer quelques abus nuisibles à l’indépendance ou à la pureté du parlement. Quant aux affaires d’Amérique, elles étaient embarrassantes. Devait-elle, s’il lui était donné satisfaction sur d’autres griefs, si les portes du pouvoir s’entr’ouvraient pour elle, tout sacrifier à une question épineuse sur laquelle le roi semblait intraitable ? Il y aurait une chronique parlementaire très intéressante à écrire sur les essais de transaction sans cesse abandonnés et repris. Chacun des hommes du temps y paraîtrait avec son caractère et le tour de son humeur et de son esprit. Parmi eux, Fox, toujours franc, décidé, véhément dans la chambre, n’était pas dans la diplomatie extra-parlementaire le plus inabordable. Il avait une grande et juste idée de la difficulté des affaires et du danger de la situation, nulle haine contre les personnes, et une bienveillance générale qui comptait sur la réciprocité. Longtemps libre de tout engagement, il prêtait l’oreille aux propositions de rapprochement; mais bientôt, comme du côté du roi on