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le plus respecté; enfin de quelques membres détachés, exempts par leur âge d’une solidarité absolue avec aucune fraction des anciens partis, et dont Fox était le modèle et le héros. C’est dans ce temps qu’il se lia de plus en plus avec Burke, qui admirait son talent et croyait conduire son esprit. Il l’avait connu dès sa plus tendre jeunesse. Malgré des dissentimens antérieurs, un attrait puissant unissait ces intelligences d’élite. Burke était le nœud entre Rockingham et Fox, et s’efforçait de les diriger l’un et l’autre. Burke, égal à tout, impropre à tout[1], n’était pas le plus sûr des guides; mais aucun n’était plus propre à exciter, à féconder pour ainsi dire un esprit plein de verve et de ressources, et à donner au talent, sinon sa direction la plus utile, du moins son essor le plus élevé. Jamais Fox n’oublia ce qu’il avait dû à cette noble amitié, réservée à de si tragiques retours. Alors il en jouissait avec orgueil, et ne prévoyait pas qu’étroitement unis pour la cause d’un peuple insurgé, une cause à quelques égards analogue les séparerait un jour en poussant chacun d’eux sous un drapeau contraire à celui qu’ils avaient séparément suivi dans leurs premières divisions.

Pendant tout le temps que l’événement de la guerre d’Amérique demeura incertain, on voit chacun persister dans la conduite que lui dictait son caractère.

Le roi, obstiné, immobile, sourd aux conseils même de l’expérience et du malheur, n’a jamais qu’une politique, soumettre les rebelles et tenir pour ennemis quiconque par le de leur promettre l’indépendance. Fidèle à ses ministres, ne leur demandant que de ne pas l’abandonner, il ne se refuse pas à des négociations avec l’opposition, pourvu que l’opposition prenne ses idées et s’identifie avec le cabinet. Il hait tout ce qui résiste et tout ce qui brille, mais Chatham moins que Rockingham, Rockingham moins que Fox. Ses lettres sont l’expression la plus naïve et la plus forte des préjugés de sa condition et des travers de sa nature. Il ne peut concevoir le faible de lord North pour l’opposition. Plutôt que d’accepter les services de ce perfide (lord Chatham), plutôt que d’être mis aux fers par ces hommes désespérés, il aime mieux perdre sa couronne et « voir introduire dans cette île une forme quelconque de gouvernement. Comment son ministre peut-il se plaindre de manquer d’autorité ? Cette parole le choque, ne l’a-t-il pas constamment soutenu ? Il n’entend admettre à son service que ceux qui déclareront explicitement la volonté de poursuivre la guerre dans toutes les parties du monde. Il faut qu’ils signent l’engagement de conserver l’intégrité de l’empire.

  1. D’après ce vers :

     « Though equal to all things, to all things unfit. »