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but des obstacles. Il prévient un découragement, railleur chez ceux qui voient exclusivement le mal, plaintif chez ceux qui n’ont rêvé que le bien. En tout, la constance dans les convictions et les sentimens n’est permise qu’à ceux qui, acceptant la vérité tout entière, perçoivent l’esprit des choses à travers les choses, comme le soleil derrière le nuage et Dieu derrière le monde.

Les Anglais ne nous accuseront pas de malveillance, si nous leur disons que de la mort de Guillaume III au règne de George III, leur gouvernement, sans avoir été un moment en décadence, et qui s’est relevé de tous ses revers, a cependant offert le spectacle de toutes les misères morales que les passions peuvent mêler aux plus nobles œuvres de l’humaine politique. Tout ce que l’intrigue, l’égoïsme, l’avidité, la jalousie unissent aux travaux du généreux amour de la puissance, de la liberté et de la gloire ; tout ce que, sous des institutions dont la pensée profonde est la vérité et la justice même, le préjugé, la routine, la faiblesse, l’intérêt peuvent conserver et exploiter d’abus pervers ou grossiers peut être signalé dans le drame du développement séculaire du premier des gouvernemens modernes, régénéré par la plus sage des révolutions. Tout ce qu’ailleurs on a noté avec complaisance comme les impossibilités de la liberté, comme les déviations pernicieuses, comme les altérations mortelles du système représentatif, s’est produit chez nos voisins incessamment et d’une manière éclatante. Aucun des maux dont on peut imaginer que soit menacée une constitution n’a été épargné à la constitution britannique. Et pourtant elle se ment. Elle a résisté aux prédictions sinistres, aux doutes savans, aux déclamations dédaigneuses de l’absolutisme et de la démocratie, également superbes, ridicules également. Au rebours de la jument tant citée du Roland de l’Arioste, elle a eu toutes les raisons de mourir, hors une seule, c’est qu’elle est pleine de vie..

Ces réflexions nous ont plus d’une fois frappé en lisant les nouveaux Mémoires que lord John Russell a publiés sur Fox. L’époque où cet homme d’état a paru est de celles où la confusion semblait s’emparer de la scène, où le théâtre même menaçait en apparence de s’écrouler sur les acteurs. Lui qui a passé presque toute sa vie à dénoncer le mal et à signaler le péril, il n’a pas échappé, tant s’en faut, à la contagion des mœurs environnantes, et les fautes de sa vie privée, même de sa vie publique, ont eu grand besoin, pour être rachetées, de l’attrait du caractère le plus loyal et le plus aimable, et de l’éclat d’un esprit rare et d’un incomparable talent. Les événemens auxquels il a pris part, le milieu dans lequel il a respiré, la conduite qu’il a tenue, tout se réunit pour nous apprendre à nous garder des idées exclusives, des illusions de l’engouement, du