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de M. Alexandre Dumas, appartient en toute propriété à Iffland, qui n’est plus là pour réclamer. Avec trois pièces du comédien allemand, le Crime par point d’honneur, la Conscience, le Repentir expie, l’écrivain français a construit une pièce qui rappelle toutes les allures de nos vieux mélodrames. L’ombre de Pixérécourt a dû se réjouir, si elle assistait à la première représentation. Les injures prodiguées par M. Alexandre Dumas à tous les hommes assez hardis pour se permettre de discuter son talent ne nous empêchent pas de reconnaître que les trois drames d’Iffland sont arrangés avec habileté. Que M. Lockroy ait ou non aidé M. Dumas, peu nous importe; puisque M. Lockroy s’est effacé et ne paraît pas sur l’affiche, notre opinion ne doit s’adresser qu’au signataire de l’œuvre nouvelle, dont les premiers vagissemens ont devancé la dernière convocation des états-généraux. Eh bien ! nous devons le dire, s’il y a de l’habileté dans l’arrangement, si les entrées et les sorties sont adroitement ménagées, si la conduite de chaque scène révèle une main exercée, il manque à ces trois pièces condensées en une seule quelque chose que M. Dumas prodiguait autrefois, et qu’il ne paraît plus posséder aujourd’hui; ce quelque chose s’appelle tout simplement la vie. Autrefois M. Dumas péchait par exubérance; aujourd’hui, il faut bien le dire, sa plume n’enfante plus que des créations inanimées. Il avait reçu du ciel de précieuses facultés, il les a gaspillées, et ses amis les plus sincères, ceux qui ont applaudi à ses premiers débuts, qui ont suivi tous ses travaux avec une attention sympathique, déplorent le dépérissement de ses facultés. Si le public ne lui témoigne plus le même empressement, M. Dumas ne doit s’en prendre qu’à lui-même. Il a voulu faire à lui seul ce que vingt hommes ne pourraient accomplir. Il n’a pas mesuré ses forces, et son épuisement n’étonne personne. A proprement parler, son drame de la Conscience, dont tous les élémens appartiennent à Iffland, n’est que le squelette d’un poème dramatique. Toutes les scènes sont plutôt indiquées que développées. Qu’il renonce à l’improvisation, qu’il prenne son temps, qu’il se donne la peine d’étudier des caractères, d’analyser des passions, de mettre aux prises des personnages nettement dessinés, et nous serons les premiers à battre des mains. Nous oublierons volontiers les invectives plus ou moins attiques par lesquelles il répond aux censeurs, pour ne plus nous souvenir que des œuvres vivantes qui portent son nom. Au lieu de pourfendre ses vrais amis, qu’il appelle ses adversaires, qu’il s’applique à retrouver le talent de ses premières années; qu’il se rajeunisse par la méditation, si la méditation ne lui est pas devenue impossible; qu’il se régénère par le travail, qu’il ne fasse plus d’emprunts à l’Allemagne, qu’il crée de toutes pièces un poème dramatique vraiment nouveau, — et nous saluerons avec joie son retour à la vie. Jusque-là, qu’il ne compte pas sur notre indulgence. Nous lui dirons la vérité sans tenir compte de ses terribles menaces. Les gros mots sont de tristes argumens dans toutes les bouches. Dans la bouche de M. Dumas, que la critique a toujours traité en enfant gâté, les gros mots ne se comprennent pas. Il a été loué d’abord selon ses mérites, et plus tard au-delà de ses mérites. Maintenant qu’il s’affaisse après avoir poursuivi pendant dix ans une besogne au-dessus de ses forces, il s’étonne de l’apathie du public, et il essaie de le ramener en battant lui-même la grosse caisse pour ce qu’il appelle son génie. C’est une manœuvre maladroite. Qu’il produise des œuvres dignes de