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utiles. C’est ainsi qu’en matière de crédit, ce grand levier de la prospérité des nations, le gouvernement a dû également prendre sur lui de le créer et de le développer, en fondant des banques de commerce et des banques d’emprunts pour la propriété foncière. Ces institutions étaient d’autant plus indispensables en Russie qu’il n’y existe pas encore de système hypothécaire dont une bonne organisation suppose et exige des conditions qu’il n’a pas encore été facile de réunir dans un si vaste empire. Une grande masse de propriétés se trouvait et se trouve encore en litige Voyez sur cette matière les notions qui se trouvent dans nos Études sur les Forces productives de la Russie, tome Ier, p. 343 et suiv. de la première édition, et p. 354 et suiv. de la seconde édition. </ref>.

L’arpentage général n’a été achevé que depuis peu dans une grande partie de l’empire. Il n’existe pas de cadastre, et c’est une œuvre qui demande beaucoup de temps et des dépenses très considérables[1]. Or il est connu que sans un système régulier d’hypothèque, lorsque celui qui prête sur un bien-fonds n’a pas les moyens de constater les charges dont ce bien est grevé, lorsqu’il n’a aucun droit de priorité sur les dettes que l’emprunteur peut contracter par la suite, le crédit foncier, ou ce qu’on appelle en termes de législation le crédit réel, ne peut pas être solidement établi. En Russie, il n’existe d’autre moyen d’hypothéquer une créance sur une propriété immobilière qu’en prenant cette dernière en gage. C’est ce qui s’appelle pravo zastavne, mais ce système est défectueux et ne remplace l’hypothèque que très imparfaitement. Avec une bonne loi d’hypothèque, le créancier est parfaitement assuré dans ses droits, et le propriétaire continue à posséder la terre, à l’administrer et à l’améliorer, tandis qu’en la mettant en gage il est obligé de s’en dessaisir et de l’abandonner à la merci de son créancier. Il en résulte de fréquentes contestations et d’interminables procès. Il faut y ajouter que les imperfections de notre législation, en matière de concours des créanciers et de poursuites contre les débiteurs insolvables, et les formes embarrassées de la procédure nuisent également au crédit personnel.

Par suite de toutes ces circonstances et vu l’insuffisance du crédit réel et personnel, ce n’est que dans les établissemens publics placés sous le patronage et la garantie du gouvernement que la propriété foncière a pu puiser les capitaux dont elle avait besoin, et c’est aussi vers ces établissemens qu’ont afflué les capitaux disponibles, à défaut d’autre placement solide. C’est ce qui a donné à nos banques un si grand développement et concentré les principales ressources de crédit public entre les mains du gouvernement.

Comme les banques en Russie reçoivent les capitaux qui leur sont apportés à titre de placemens à intérêt, et que ces capitaux sont remboursables bref délai, sous la garantie du gouvernement, tandis que les prêts qu’elles font sur les propriétés immobilières ne sont remboursables qu’à des termes éloignés de dix, quinze, jusqu’à trente-sept années, M. Léon Faucher considère tous les fonds placés aux banques par des particuliers comme une dette flottante de l’état, qu’il porte ainsi, en y ajoutant les billets de crédit et les billets de série, à un total de 5 milliards de francs. Il représente cette situation comme très grave et dangereuse, en admettant la possibilité des

  1. On sait ce qu’elle a coûté en France.