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Que l’emprunt russe soit, dans ce moment, exclu des marchés de Londres et de Paris, c’est bien naturel, et le gouvernement russe ne pouvait pas espérer d’y placer les inscriptions de cet emprunt. Il est également naturel qu’une opération financière de cette nature, entreprise sur un marché rétréci, au milieu d’une guerre qui menace de prendre des proportions colossales, et pendant que tant d’autres emprunts encombrent les principales places de l’Europe, ne peut pas marcher aussi rondement et aussi vile que cela pourrait avoir lieu sous l’empire de circonstances plus favorables. Cependant elle marche, et les souscriptions qui continuent, sauf quelques interruptions momentanées, selon que l’horizon politique et financier de l’Europe se rembrunit plus ou moins, ont atteint sur les principales places de l’Allemagne et de la Hollande une somme assez considérable. Donc le gouvernement russe n’a pas échoué dans cette entreprise, et ce qui prouve le mieux que les capitalistes de l’Europe n’ont pas perdu confiance dans le crédit de la Russie, qu’on prétend être si épuisé, c’est l’inquiétude manifestée par le gouvernement anglais que ses sujets ne participent à cet emprunt, et les moyens extraordinaires qu’il a cherchés dans la législation pour les en empêcher[1], ainsi que les expédiens d’intimidation inouïs jusqu’à présent, et aussi contraires au droit des gens qu’à l’indépendance des autres états, auxquels il a eu recours pour contrecarrer cet emprunt même sur les marchés étrangers.

Quant au prétendu emprunt forcé, c’est un fait entièrement controuvé. Personne n’y a pensé, personne n’en a entendu parler, et l’on a de la peine à concevoir à quelle source l’auteur peut avoir puisé ce faux renseignement.

2° Page 740. « Le commerce russe, privé des avances importantes que lui faisait chaque année l’Angleterre et qui ne montaient pas à moins de cinq millions sterling, a perdu en outre ses meilleurs débouchés au dehors, depuis que les flottes combinées bloquent hermétiquement les ports de la Baltique et ceux de la Mer-Noire. »

Que le commerce extérieur de la Russie soit en souffrance par suite de la guerre et du blocus, c’est incontestable; mais les intérêts des autres états qui sont en communication maritime avec la Russie, à commencer par l’Angleterre elle-même, en souffrent également, et l’auteur s’exagère beaucoup la part des sacrifices qui tombent à la charge de la Russie. Le commerce de plusieurs ports russes a pris la voie de terre, et l’Angleterre elle-même profite de cette voie détournée, par laquelle elle reçoit différens produits russes nécessaires à son industrie, tels que suif, chanvre, lin, etc., avec la différence toutefois qu’elle supporte le surplus des frais de transport de terre, surplus qui tourne en grande partie au profit de nos charretiers. Encore faut-il observer que jusqu’à présent, et contre toute attente, c’est plutôt le commerce d’importation que le commerce d’exportation qui a souffert du blocus des ports russes.

La valeur des exportations de la ville d’Odessa jusqu’à la fin de juin a dépassé d’environ 200,000 roubles celle des exportations, à la même date, de

  1. Le cours des fonds russes à la bourse de Londres semble justifier cette inquiétude du gouvernement anglais, car, malgré la guerre survenue entre les deux pays, le 5 pour 100 russe y est côté à peu près au pair.