Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/796

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut-être leur ancien penchant l’un pour l’autre, leur revinrent à l’esprit, et ils désirèrent se voir. Le kha-kan vint à cheval et descendit sur le bord, Priscus s’avança dans une barque jusqu’à la portée de la voix ; mais l’entrevue se passa en récriminations et en reproches mutuels. Il ne restait plus que la guerre, et Priscus s’y préparait activement sur le Danube, quand il apprend que le kha-kan était en Dalmatie, où il mettait tout à feu et à sang.

Furieux, il court vers la Haute-Pannonie, attend l’armée des Avars, la bat et lui enlève tout son butin. La même fureur animait le kha-kan ; il appelle à lui toutes ses bandes, et s’élance avec elles vers la Thrace, ne laissant derrière lui qu’un fleuve de sang. Baïan n’était plus un homme, c’était une bête féroce ; il sévissait contre les pierres, il déclarait la guerre aux morts. À Drizipère, où il entra cette fois, et dont il fit un monceau de débris, il brûla l’église dédiée à saint Alexandre, qui était en grande vénération dans le pays, dépouilla la sépulture du martyr, toute revêtue de lames d’argent, et dispersa ses ossemens ; puis, comme pour célébrer ce beau triomphe, disent les historiens, il alla s’attabler avec ses officiers et passer la nuit en débauches. Ce fut la vie que menèrent aussi ses soldats dans ces tristes journées de pillage et d’égorgement ; mais bientôt la peste se déclara parmi eux. Dans une seule nuit, Baïan vit mourir dix de ses fils, atteints de bubons pestilentiels dans l’aine. Ce barbare aimait tendrement ses enfans, et faillit devenir fou de douleur. « Il fallait voir, dit un écrivain du temps, comment la joie triomphale, les chants et le pœan de la victoire firent place tout à coup au deuil, aux larmes, aux interminables gémissemens. » Dans son égarement, le kha-kan s’écriait sans cesse : « Que Dieu juge entre Maurice et moi, entre les Romains et les Avars ; il sait ceux qui ont violé la paix ! » L’occasion était favorable pour l’aborder, et des négociateurs romains lui demandèrent une entrevue ; mais Baïan resta douze jours sans vouloir les entendre. Enfin il conclut la paix avec une facilité qui prouvait son profond abattement.

L’année suivante, 600 de notre ère, la guerre reprit, non pas précisément sur l’initiative du kha-kan, mais parce qu’il vit que Priscus, s’emparant de la rive gauche du Danube, le traquait peu à peu dans ses frontières, et pourrait pénétrer quelque jour jusqu’au cœur de la Hunnie. Il sentit qu’il y allait de sa vie et de l’existence de son peuple, et qu’il devait tout épuiser pour reconquérir sa position au nord du fleuve. Priscus, posté dans Viminacium et dans l’île du Danube située en face, paraissait vouloir opérer le débarquement d’une forte armée destinée à agir au printemps : Baïan envoya quatre de ses fils défendre le passage, tandis qu’avec une partie de ses troupes, il irait prendre les Romains à dos ; mais ses fils furent battus, le passage livré, et lui-même fut obligé de revenir au nord du