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l’attaque régulière. Une aventure qui rappelle un peu celle de Drizipère lui fit lever ce siège plus vite qu’il ne se l’était proposé. Les avant-postes avars se saisirent un jour d’un espion qui rôdait autour des murailles ; on le fouilla, et on le trouva porteur d’une lettre de l’empereur Maurice, que le kha-kan se fit expliquer par ses interprètes. Elle était adressée à Priscus, auquel le porteur, qui venait de Constantinople, devait la remettre. L’empereur y suppliait Priscus de tenir ferme et d’avoir confiance, attendu qu’il se préparait, disait-il, un coup décisif : une flotte considérable entrait en ce moment dans le Danube, avec mission de remonter le fleuve, de mettre à Hunnie à feu et à sang, d’enlever les enfans et les femmes du kha-kan, et de les amener pieds et poings liés à Constantinople, où le kha-kan viendrait bientôt demander la paix à genoux. Tel était le contenu de la lettre saisie sur l’espion. Elle jeta la plus vive inquiétude dans le cœur de Baïan, qui vit ses enfans et ses femmes outragés, traînés en servitude et son pays envahi : il n’eut plus d’autre pensée que d’aller à leur secours en se retirant honorablement. Des ouvertures adressées par lui à Priscus furent bien accueillies ; il s’ensuivit encore une paix. La nouvelle était fausse, et la lettre, fabriquée à dessein, n’avait d’autre but que de donner le change au kha-kan : la ruse était bonne et réussit. Si le sorcier avait été ensorcelé à Drizipère, le trompeur fut trompé à Tzurulle.

L’hiver amena d’autres soins. Les Slaves attardés commençaient à se rendre par grandes masses à l’appel du kha-kan ; chaque jour, les vedettes romaines signalaient de nouveaux mouvemens dans les plaines pontiques : l’empereur envoya Priscus garder les passages du Danube, et prendre, s’il y avait lieu, l’offensive contre les Barbares. Au printemps de l’année 593, le général établit ses quartiers à Durostorum, et se prépara à la double éventualité d’une guerre de défense et d’une guerre d’attaque. Il était absorbé dans ces préparatifs, lorsqu’il vit arriver dans son camp une ambassade avare qui avait pour orateur un certain Kokh, déclamateur barbare, espèce de Commentiole sauvage, dont la mission sans doute était d’effrayer les Romains par la virulence de ses discours. Priscus le reçut au milieu de ses officiers, et le barbare commença de cette façon : « Dieux qu’est ceci ? Ceux qui faisaient profession de respecter la sainteté des sermons les violent sans scrupule ; les Romains foulent aux pieds les engagemens de la paix ; ils jettent au vent le sel des traités ; ils ne respectent pas plus leur parole que leurs dieux ! En vérité, le Danube voit un beau spectacle : ce même Priscus, qui signait hier la paix, Priscus, à qui nous avons accordé la vie, est ici en armes contre nous ! Chef Priscus, imite donc l’humanité avec laquelle nous nous sommes conduits envers toi, et songe que nous avons voulu épargner un ami futur et non pas un ennemi….. Oh ! c’est bien vous,