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à coup pour demander la paix; elle impliquait d’ailleurs de la part de Joseph la chance de ne point obtenir la Sicile, que la paix maritime négociée au commencement de 1807 aurait probablement conservée au roi Ferdinand. A côté de ce document qui honore le prince, il serait facile de citer plusieurs lettres qui font aimer l’homme. Nous n’en choisirons qu’une, qui résume, dans l’effusion d’une tendresse charmante, les résultats obtenus et les espérances alors rêvées. C’est comme le testament de cette royauté de passage qui était à la veille d’aller payer sur un autre trône, par les plus atroces tortures, les joies rapides du succès relevées par celles d’une bonne conscience :


« Ma chère Julie, je suis venu passer le dimanche ici (à Sainte-Lucie, près Naples). Il est remarquable que ce sont les jours de fête que je choisis pour me reposer un peu. Cela te prouve que je suis forcé d’employer les autres jours au travail du cabinet. Au reste, la réponse à tout, c’est le résultat de ce qui se passe ici. Les billets de banque de Naples, qui perdaient 25 pour 100 à mon arrivée, sont au pair aujourd’hui. J’ai, avec mes propres moyens, fait la guerre et le siège de Gaëte, qui a coûté six millions de francs; j’ai trouvé le moyen de nourrir et de solder quatre-vingt-dix mille hommes, car j’ai, outre soixante mille soldats de terre, trente mille hommes en marins, invalides, pensionnés de l’ancienne armée, gardes-côtes, canonniers littoraux, et j’ai quinze cents lieues de côtes, toutes entourées, bloquées et attaquées souvent par l’ennemi. Et avec tout cela je n’ai pas assez surchargé les impôts pour que les propriétaires fonciers et le peuple soient mécontens; ils le sont si peu, que je puis sans imprudence voyager presque seul partout, que Naples est aussi tranquille que Paris, que je trouve à emprunter ici ce que l’on peut prêter, que je n’ai pas une seule classe de la société mécontente, et que l’on sait généralement que si je ne fais pas mieux, ce n’est pas ma faute; que je donne l’exemple de la modération, de l’économie; que je n’ai pas de luxe, que je ne fais aucune dépense pour moi, que je n’ai ni maîtresses, ni mignons, ni favoris, que personne ne me mène, et que l’on est dans le fait si bien ici, que les officiers et autres Français que je suis forcé de renvoyer se plaignent, quand ils sont dehors, de n’être pas restés à Naples. Lis donc ceci, ma bonne Julie, à maman, à Caroline, puisqu’elles ont de l’inquiétude, et dis-leur que, si elles me connaissaient mieux, elles seraient plus tranquilles. Dis-leur qu’on ne change pas à mon âge; rappelle à maman qu’à toutes les époques de ma vie, citoyen obscur, cultivateur, magistrat, j’ai toujours sacrifié avec plaisir mon temps à mes devoirs. Ce n’est pas moi certes, qui prise peu les grandeurs, qui puis m’endormir dans leur sein : je ne vois dans elles que des devoirs et jamais de droits. Je travaille pour le royaume de Naples avec la même bonne foi et le même abandon qu’à la mort de mon père je travaillais pour sa jeune famille, que je n’ai cessé de porter dans mon cœur... La justice veut que je rende ce peuple heureux autant que me le permet le fléau de la guerre. J’ose dire que, malgré sa situation, le peuple de Naples est peut-être plus heureux qu’aucun autre. Sois bien tranquille, ma chère amie, et sois convaincue que ces sentimens sont aussi invariables dans mon âme que l’immortel attachement que je te porte ainsi qu’à mes enfans; et s’il est un