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de battre le pays, réunirent une armée de recrues qui tint pourtant la campagne. Sirmium se ravitailla, et les troupes romaines, retranchées dans deux petites îles de la Save nommées Casia et Carbonaria, gênèrent beaucoup les opérations du siège, qui traîna en longueur. Cependant les malheureux Sirmiens, redoutant le retour prochain de la famine, demandaient à grands cris qu’on livrât une bataille décisive, ou qu’on fît la paix. Baïan profita de ces dispositions pour sonder le général en chef, nommé Thèognis, et l’appeler à une entrevue qui se passa sur la rive gauche du fleuve. Thèognis y vint en bateau, et Baïan à cheval. Le barbare, après avoir mis pied à terre, s’assit sur un siège d’or qu’on lui avait préparé au-dessous d’un dais enrichi de pierreries, et l’on plaça en guise de rempart, devant sa poitrine et son visage, un large bouclier, dans la crainte probable que les Romains ne se missent à tirer sur lui par trahison ; les Romains et les Avars n’étaient éloignés les uns des autres que de la portée de la voix. Quand il fut temps, les interprètes des Avars, s’avançant dans l’intervalle, crièrent qu’il y avait trêve, et les hérauts romains répondirent par le même cri. Baïan n’avait rien à dire de nouveau, si ce n’est que, d’après des avis sûrs qu’il avait reçus, les provisions de Sirmium étaient encore une fois épuisées ; mais Thèognis refusa de l’entendre, opposant un refus péremptoire à toute proposition tant que les Avars ne seraient pas rentrés dans leur pays, et menaceraient la ville. Les deux interlocuteurs disputèrent ainsi longtemps et avec vivacité sur la condition préliminaire posée d’une manière absolue par Thèognis, et celui-ci, s’échauffant outre mesure, finit par dire au kha-kan : « Retire-toi de devant mes yeux, et prends tes armes ! » C’était annoncer assez clairement qu’il voulait livrer bataille le lendemain ; mais ni le lendemain, ni les deux jours suivans, on ne vit les Romains quitter leurs lignes. Attendaient-ils eux-mêmes l’attaque des Avars ? Thèognis se repentait-il d’un défi jeté dans un accès de colère, et qu’il n’osa pas soutenir de sang-froid ? L’inaction des Romains, quelle qu’en fût la cause, enhardit les barbares, qui achevèrent de bloquer Sirmium du côté de la Dalmatie par l’établissement d’un second pont. Quelques semaines après l’entrevue dont je viens de parler, on apprit que cent mille Slovènes, traversant le delta du Danube, s’abattaient sur la Mésie et la Thrace, et il ne fut pas difficile de deviner la main qui les avait lancés, en songeant que Baïan était maître de la rive droite du fleuve dans la petite Scythie. Les envahisseurs semblaient avoir pour mot d’ordre de détruire plus encore que de piller, et des cris de détresse partirent de ces provinces, que l’armée de Thèognis ne secourait point. Entre ces cris et ceux des Sirmiens, que la famine commençait à tourmenter, l’empereur hésitait à faire un choix