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Les Coutrigours et les Outigours étant devenus ses esclaves, leurs créances sur l’empire romain étaient tombées dans son domaine, il en était propriétaire, et il les réclamait à ce titre. Suivaient les demandes relatives à Sirmium et à l’extradition du Gépide Ousdibade. Le discours que fit à ce sujet Targite, l’orateur ordinaire des députations avares, était conçu dans une forme si curieuse, que nous croyons devoir le reproduire ici au moins en partie. « Empereur, dit à Justin le noble hun, je suis ici de la part de ton fils, qui m’a envoyé, car tu es vraiment le père de Baïan, notre maître ; aussi n’ai-je point douté que tu ne marques ton affection paternelle à ton fils en lui rendant ce qui lui appartient. Quand tu nous auras restitué ce qui nous revient, tu le posséderas encore par cela seulement que nous le tiendrons. Eh bien ! lui feras-tu abandon de ce qui lui est dû ? En le faisant, tu n’avantageras ni un étranger ni un ennemi ; la chose restituée ne changera pas de mains, puisqu’elle te reviendra par ton fils. Seulement il faut que tu consentes de bonne grâce aux demandes que je suis chargé de te faire. » Je ne sais si Baïan comptait beaucoup sur l’effet de pareils syllogismes pour réussir dans sa négociation ; au moins procura-t-il à Justin II une magnifique occasion pour une de ces harangues où le neveu de Justinien déployait sa fermeté patriotique beaucoup mieux que sur les champs de bataille. Le duc Bonus reçut une verte réprimande pour avoir laissé passer les ambassadeurs sans ordre de l’empereur, et puis Justin crut tout fini. Il n’en était point ainsi : Baïan armait à force, et l’empereur, dont la puissance reculait en Italie devant les Lombards, et qui s’était aliéné par ses manières hautaines les Perses et les Sarrasins, n’avait point de troupes à lui opposer. Obligé de reprendre lui-même les négociations malgré tout l’éclat qu’il venait de faire, il envoya sur les lieux Tibère, un de ses généraux, pour traiter avec le kha-kan l’affaire de Sirmium. Il fut impossible de s’entendre. Tibère, à propos de la cession de quelques cantons de la Pannonie, avait demandé comme otages les enfans de plusieurs nobles avars ; le kha-kan exigea la même chose des Romains. C’était trop de honte, et Tibère préféra recourir aux armes. Il osa tenir la campagne avec des recrues, et fut battu ; on dit qu’il suffit presque des cris des barbares et du tintamarre de leurs cymbales pour mettre en fuite ces levées tumultuaires. Il fallut se résigner à traiter à tout prix, rendre au kha-kan sa pension avec l’arriéré, et signer une convention dans laquelle pourtant Sirmium resta aux Romains, Baïan, contre toute attente, n’ayant plus insisté pour l’avoir. Un convoi partit pour Constantinople à l’effet de toucher les sommes dues au kha-kan ainsi que les cadeaux que l’empereur y devait ajouter ; mais l’annonce de ce convoi mit les voleurs en éveil. Une troupe de ces bandits, qui,