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n’épargnerait rien pour les détruire. — Les ambassadeurs s’attendaient à voir Baïan accueillir avec empressement ces ouvertures, et se jeter à corps perdu dans une alliance qui lui annonçait tant d’avantages ; mais il n’en fut point ainsi. Baïan les écouta froidement, et parut faire peu de cas de leurs propositions : « il ne voyait pas clairement, disait-il, ce que son peuple y gagnerait. » Tantôt il déclarait qu’il ne pouvait pas entrer dans cette guerre, tantôt il confessait qu’il le pouvait, mais qu’il ne le voulait pas. Il les ballotta ainsi pendant longtemps, et quand il vit leur impatience de conclure arrivée à son terme, il feignit de céder avec répugnance et proposa ceci : 1o que les Lombards lui abandonnassent immédiatement la dixième partie de tout le bétail qu’ils possédaient, 2o qu’ils lui assurassent en cas de victoire la moitié des dépouilles et la totalité du territoire appartenant aux Gépides. Ces deux conditions furent reportées à Alboïn, qui ne les examina seulement pas ; il eût tout donné, son royaume, les enfans de son premier mariage et lui-même, pour voir la Gépidie détruite, Cunimond sous ses pieds et Rosemonde en son pouvoir. Cunimond effrayé envoya à Constantinople des avis et des demandes de secours ; mais Justin ne comprit pas quel intérêt l’empire avait à défendre les Gépides dans la circonstance présente ; il promit tout et ne tint rien. La guerre ne fut pas longue. Pris en face par les Lombards, en flanc par les Avars, les Gépides furent rompus, dispersés, repris et accablés partiellement. Les Lombards ne firent point de quartier, et si les vaincus trouvèrent quelque compassion, ce fut auprès des Avars, qui n’étaient pourtant point leurs frères de race, et qui épargnèrent cette population infortunée, en la réunissant dans quelques villages où elle fut tenue en état de servitude. Des Huns avaient donc reconquis l’ancienne Hunnie, et Baïan tout joyeux planta sa tente aux lieux où s’élevait, cent ans auparavant, le palais d’Attila. Alboïn, non moins joyeux, partit pour l’Italie avec la belle Rosemonde, qu’il avait retrouvée parmi les captifs, et le crâne de Cunimond, qu’il fit nettoyer et enchâsser pour lui servir de coupe à boire dans les festins.

Baïan ne fut pas plus tôt installé dans la Hunnie, qui reprit avec lui son ancien nom, que les Romains le virent arriver chez eux. Les Gépides possédaient, comme on sait, sur la rive droite du Danube et dans cette langue de terre située entre la Drave et la Save, qu’on appelait la presqu’île sirmienne, plusieurs cantons qu’ils avaient conquis à différentes époques sur les Lombards ou sur les Goths, et ils avaient même enlevé Sirmium aux Romains. Baïan se prétendait le maître de ces cantons et de la ville, attendu qu’ils avaient appartenu aux Gépides, et qu’en outre les Lombards les lui avaient cédés ; mais Sirmium n’était déjà plus à sa disposition. Au plus fort de la guerre,