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douleur poignante. « Allez, répondit-il au messager, et dites à votre maîtresse que je lui prépare une fusée qu’elle et les Romains ne démêleront pas facilement. » Quittant à l’instant sa charge, il se retira dans la ville de Naples, en dépit des prières des Italiens et des supplications de son armée. L’histoire ajoute que dans un aveugle emportement il fit porter au roi des Lombards quelques fruits et du vin d’Italie avec ces mots : « Tu peux venir ! » Ce dernier trait, dont on aimerait à douter, ne serait-il pas vrai, sa retraite en disait autant. L’heure des Lombards était donc arrivée, et Alboïn, leur roi, fit ses dispositions pour un prompt départ. Pourtant une chose le retenait en Pannonie, la haine de son peuple contre les Gépides, et son propre ressentiment contre leur roi Cunimond, fils de ce Thorisin qui avait été un ennemi si acharné des Lombards. S’en aller comme un fugitif sans avoir assouvi sa vengeance, et laisser derrière soi des terres sur lesquelles les Gépides ne manqueraient pas de se jeter, bravant la rage impuissante des Lombards et profitant de leurs dépouilles, c’était un parti qu’Alboïn, au dernier moment, ne se sentit pas le courage de prendre. On a prétendu avec assez de probabilité que les aiguillons de l’amour se mêlaient dans le cœur de ce barbare à ceux de la vengeance, — qu’épris de la belle Rosemonde, fille de Cunimond, il l’avait enlevée autrefois pour en faire sa maîtresse ou sa femme, mais que Rosemonde, échappée de ses mains, s’était sauvée chez son père ; or Alboïn avait juré de la reprendre et de l’emmener avec lui en Italie. En proie à ces anxiétés, il songea à se servir des Avars, qui se trouvaient là tout à propos pour l’assister, et il envoya en grande pompe une ambassade à leur kha-kan. Les ambassadeurs lombards avaient pour mission principale de mettre les Avars en communauté de sentiment avec eux, en les piquant d’honneur et leur rappelant tous les mauvais procédés des Gépides et des Romains à leur égard. « Si les Lombards sont animés d’un vif désir de guerre contre les Gépides, dirent-ils à Baïan, c’est qu’ils veulent affaiblir l’empereur Justin, ennemi mortel des Avars, qui leur a retiré leur pension et les traite avec ignominie. Que les Avars se joignent aux Lombards, et les Gépides seront infailliblement exterminés ; alors les richesses ainsi que le pays de ce peuple leur appartiendront à chacun par moitié. Plus tard, les Avars, maîtres de la Scythie entière, passeront une vie tranquille et heureuse ; rien ne leur sera plus facile que d’occuper la Thrace, de ravager toutes les provinces grecques, et d’aller même jusqu’à Byzance. » Ils ajoutèrent que si les Avars consentaient à une alliance, il leur fallait se hâter pour empêcher les Romains de les prévenir ; qu’ils pouvaient bien compter au reste que l’empire était pour eux un implacable ennemi, qui les poursuivrait dans tous les coins du monde et