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bon accueil de l’officier romain, le prévint secrètement qu’il avait à faire bonne garde, car, suivant ses propres expressions, « les Avars, avaient une chose sur les lèvres et une autre chose dans le cœur. » Ne sachant pas bien quelle résistance les Romains pouvaient leur opposer, ils cherchaient à franchir le Danube sans combat ; mais une fois de l’autre côté, ils n’en sortiraient plus. L’officier se hâta d’expédier cet avis à l’empereur, et sa lettre trouva la cour de Constantinople déjà bien renseignée sur le compte des prétendus Avars, dont on connaissait l’origine, la fuite et toutes les impostures : or voici à quelle aventure bizarre Justinien devait ces révélations, qui lui venaient des Turks eux-mêmes. Les anciens maîtres des Ouar-Khouni, en apprenant la fuite de leurs vassaux, étaient entrés dans une violente colère, et le grand kha-kan s’était écrié en étendant la main : « Ils ne sont pas oiseaux pour s’être envolés dans l’air ; ils ne sont pas poissons pour s’être cachés dans les abîmes de la mer ; ils sont sur terre, et je les rattraperai. » Suivant les fugitifs à la piste, il avait découvert successivement leur changement de nom, leur passage en Europe et leur alliance avec les Romains, dont ils se vantaient d’obtenir des terres. Ce fut alors contre l’empereur des Romains, coupable d’avoir donné assistance et refuge à ces misérables, que se tourna la colère des Turks, et le grand kha-kan, seigneur des sept climats du monde, fit partir pour Constantinople des ambassadeurs chargés de réclamer, non pas les Avars qui étaient subjugués dans l’intérieur de l’Asie, mais les Ouar-Khouni, vassaux de ces mêmes Avars, vassaux des Turks, et de faire sentir à l’empereur combien il s’était abaissé en prenant pour amis les esclaves de leurs esclaves. Ce fut ainsi que le mystère se dévoila. La chancellerie romaine, honteuse probablement de s’être ainsi laissé prendre, s’épuisa en explications de toute sorte et en protestations d’amitié vis-à-vis des Turks, que l’on combla de cadeaux et de promesses. Justinien jeta même à cette occasion les fondemens d’une alliance offensive des deux peuples contre la Perse, alliance qui se réalisa plus tard. Cette aventure, comme on le pense bien, diminua considérablement le crédit des Ouar-Khouni auprès du gouvernement impérial, qui dissimula pour le moment, attendu que les barbares étaient là sur le Danube, dans une position à ménager ; toutefois on se réserva le droit de les appeler en temps et lieu menteurs et faux Avars[1], et les poètes de la cour limèrent déjà des vers dans lesquels on les menaça de couper « les sales tresses de cheveux » qu’ils se permettaient de porter à la manière des Avars et des Turks, quoiqu’ils ne fussent que des Huns.

L’ambassade des Ouar-Khouni, — auxquels, malgré leur imposture,

  1. Pseudo-Abares. L’historien Théophylacte ne leur donne même guère d’autre nom.