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espaces au nord de la Mer-Caspienne et à l’est du Volga. Les Ouar-Khouni avaient été jadis puissans entre toutes ces tribus ; ils avaient eu leur période d’expansion et de gloire, puis, à une époque qu’on ne saurait bien déterminer, ils avaient subi le joug de conquérans d’une autre race, qui étendirent leur domination sur toute l’Asie centrale depuis la frontière chinoise jusqu’aux limites de l’Europe. Ces conquérans étaient les Avars, Tous les peuples de la Haute-Asie obéirent à cette nation redoutable ou se turent devant elle ; mais nulle part la fortune n’est plus fragile et plus passagère que dans ces solitudes sans bornes, condamnées par la nature à être le domicile des peuples pasteurs : une des nations vassales des Avars se souleva contre eux, les dispersa, les vainquit, et s’empara de tout le pays qu’ils avaient possédé. C’étaient les Turks, dont le nom apparaît alors dans l’histoire pour la première fois. Leur domination eut pour siège les monts Altaï, et leur souverain, qui prenait le titre de « grand khakan, roi des sept nations et seigneur des sept climats du monde, » dressa sa tente impériale dans les vallées de la Montagne-d’Or. Pour s’assurer la soumission des anciens vassaux des Avars, le kha-kan des Turks voulut visiter les bords du Volga et se montrer dans tout l’éclat de sa puissance aux populations ougouriennes. Sa visite fut sanglante, car, s’il en faut croire les historiens, ces peuples ayant voulu lui résister, trois cent mille hommes périrent par les mains des Turks, et leurs cadavres couvrirent la terre sur une longueur de quatre journées de chemin. Frappée et vaincue comme les autres, la nation des Ouar-Khouni fut emmenée en captivité.

Internés dans un coin de ces déserts, les Ouar-Khouni auraient pu se consoler par le spectacle d’une plus grande infortune, celui de leurs anciens maîtres, les Avars, dont les restes, traqués de toutes parts, trouvaient à peine un asile chez les peuples les plus éloignés ; mais ils n’avaient point tant de philosophie, et dans leur désir de la liberté, ils ne se donnèrent ni paix ni trêve, qu’ils n’eussent trouvé les moyens de s’enfuir. Bien des années s’écoulèrent dans l’attente. Un jour enfin, profitant du moment propice, leur principale horde, qui comptait deux cent mille têtes, attela ses chariots et partit dans la direction du soleil couchant. Elle laissait derrière elle trois autres tribus, les Tarniakhs, les Cotzaghers et les Zabenders, qui ne voulurent ou ne purent pas la suivre. La peur donna des ailes aux Ouar-Khouni. Devenus terribles dans leur fuite, ils culbutent tout ce qui s’oppose à leur passage : les Sabires sont rejetés sur les Hunnougours, les Sakes sur les Acatzires, et ceux-ci vont se choquer contre les Alains. Chaque peuple en mouvement en déplaçait d’autres, qui se précipitaient sur leurs voisins. La comparaison d’une fourmilière en désordre rendrait à peine l’idée de ces masses d’hommes,