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Si, avant d’arriver aux essais des Italiens dans la voie du roman intime nous signalons les deux récits de M. Tommaseo, — le Duc d’Athènes et Fede e Bellezza, — ce n’est pas que nous puissions les rattacher directement au groupe d’écrits où commence à se refléter la vie contemporaine de l’Italie. Ce qui nous frappe dans les romans de M. Tommaseo, c’est que l’un introduit dans le genre du récit historique une manière nouvelle, et l’autre semble un appel adressé aux Italiens en faveur du roman d’analyse. Le Duc d’Athènes est le récit de la patriotique conjuration qui eut pour résultat l’expulsion de ce Gauthier de Brienne que les Florentins, toujours en quête d’expédiens pour rétablir la paix dans leurs murs, y avaient fort imprudemment appelé. Villani et Machiavel avaient déjà écrit cette belle page d’histoire. M. Tommaseo était homme de trop de goût pour entreprendre de lutter contre ces grands maîtres. Loin de là, selon un usage honorable et assez commun en Italie, il cite lui-même, comme pièces justificatives, les récits de ses deux modèles; mais au lieu de mêler aux événemens historiques des aventures imaginaires, il se borne à mettre en saillie les détails les plus dramatiques, et à faire tenir aux acteurs les discours qui étaient dans la situation. Le Duc d’Athènes est moins un roman, on le voit, qu’une brillante amplification dialoguée.

Quant à Fede e Bellezza, c’est une étude psychologique dans le genre de Werther ou plutôt de Jacopo Ortis, mais avec une part plus grande donnée à l’élément dramatique. M. Tommaseo y fait le portrait anonyme de deux personnes aimées et qui ont joui d’une certaine célébrité; cela explique pourquoi, depuis tant d’années, cette brillante étude n’a pas été réimprimée : si nous sommes bien informé, l’auteur ne l’a pas voulu. On s’expliquerait difficilement sans cela que les éditeurs n’eussent pas été affriandés par le succès de la première édition. Dans cet ouvrage plus encore que dans les autres, M. Tommaseo ne marche que par vives et capricieuses saillies; esprit essentiellement personnel et lyrique, il est incapable de suivre une idée ou un plan avec la rigueur du logicien. C’est là une disposition d’esprit peu favorable au roman; aussi Fede e Bellezza n’est-il guère susceptible d’une analyse. Je comparerais volontiers cet ouvrage à l’agréable volume intitulé Desiderii sull’ educazione, où M. Tommaseo passe incessamment d’un objet à un autre, de la dissertation à un récit dont il laisse quelquefois deviner la fin plutôt qu’il ne la raconte. Ce n’est ni l’esprit, ni l’élégance, ni le sentiment qui manque à M. Tommaseo, c’est la force et le nerf, c’est surtout la volonté si nécessaire de ne pas se laisser détourner du but par les accidens et les curiosités du chemin. L’auteur de Fede e Bellezza est un moraliste, un rêveur spirituel plutôt qu’un romancier.

On peut dire tout le contraire de M. Carcano. Homme d’imagination, poète non moins dans sa prose que dans ses vers, M. Jules Carcano est le premier, le seul en Italie qui ait obtenu un grand et légitime succès dans le genre à peu près inexploré du roman domestique. Deux ouvrages, Damiano, Angiola-Maria, ont fondé sa réputation. Je ne parlerai pas du premier. L’auteur essaie d’y montrer la lutte courageuse, mais impuissante, de l’homme contre les difficultés sociales auxquelles il se heurte incessamment : l’intention de relever ainsi l’activité, la volonté humaine qui proteste noblement et sans désespoir