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procéder avec cette fière audace à la fondation du nouveau système européen dont le trône impérial devenait le centre, il n’y avait du moins dans un tel procédé rien de perfide ni de clandestin.

Si le caractère des événemens survenus à Naples et en Espagne fut tout différent, celui des deux peuples ne l’était pas moins. Le royaume de Naples ne possédait pas, comme l’Espagne, un esprit public énergique et une dynastie vraiment nationale. Les petits-fils de Philippe Ve qui régnaient depuis deux générations à Naples, n’étaient guère pour ce pays foulé depuis cinq siècles par les armées étrangères que les continuateurs de ces vice-rois contre lesquels s’étaient épuisés les derniers restes du patriotisme napolitain. De plus la maison de Bourbon avait été conduite dans les Deux-Siciles, pour résister à l’invasion des idées françaises depuis la révolution, à consommer cette étroite alliance du pouvoir absolu avec la démocratie qui, en Espagne et en Portugal, a été de nos jours le mobile de quelques-uns des plus curieux épisodes de l’histoire. Rentrée à Naples en 1799 après la chute du régime éphémère inauguré par nos soldats, une princesse — à laquelle ses passions étaient à la fois toute mesure et toute prévoyance — avait demandé aux classes élevées de la société un compte terrible des sympathies avec lesquelles elles avaient accueilli le gouvernement précédent, et la royauté avait eu l’irréparable malheur de recourir à des armes qui avaient été jusqu’alors à l’usage exclusif de ses ennemis. Les places publiques de Naples ruisselaient encore du sang versé par une aveugle réaction, lorsque Joseph arriva dans ce pays à la tête d’une armée victorieuse, donnant, par le seul fait de sa présence, aux nombreuses victimes de ces malheurs l’espérance de reprendre dans leur patrie l’importance inhérente à leur position sociale et à leurs lumières. Dès son avènement, le nouveau prince se trouva donc représenter à Naples un parti considérable qui avait été vaincu, et auquel il rendait la confiance. Il fut en mesure d’appliquer dans des conditions plus favorables que partout ailleurs ces innovations administratives et ces réformes intelligentes qui, dans la pensée de l’empereur Napoléon, devenaient simultanément pour la France le gage de sa prépondérance politique, et pour les peuples conquis la rançon de leur liberté. Joseph Bonaparte crut donc pouvoir s’asseoir sur le trône des Deux-Siciles en s’y présentant comme l’expression d’un principe original et fécond. Sans négliger l’appui que lui assurait l’armée française pour achever la soumission de son royaume, il s’efforça de tempérer l’œuvre de la conquête militaire par celle de la régénération politique, et en agissant ainsi, il devait se croire en pleine harmonie avec le système que l’empire prétendait représenter en Europe aussi bien qu’en France.