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veut écrire non de seconde main, mais d’original, sur des faits négligés ou mal compris, et d’après des documens nouveaux.

Sauf donc quelques pages bien frappées, qui résument vivement le caractère, l’ascendant, la vie et la mort du duc de Guise, nous avançons vite dans le récit vers l’histoire intérieure de la Lorraine, c’est-à-dire l’état précaire où la laissait la grande tentative manquée par des princes issus de sa maison régnante, et dès lors la rancune défiante et ambitieuse que lui gardait en retour la royauté française, un moment insultée de cette inégale concurrence. En voyant l’auteur ainsi arriver d’une marche prompte et sûre au cœur du sujet, à son point de nouveauté distincte et d’originalité propre, on peut regretter seulement une réflexion qui lui échappe sur le malheur de la Lorraine de s’être trouvée compromise dans l’ambition des Guises, et d’avoir à ce prix dû perdre plus tard son indépendance. L’habile historien, malgré la nuance de partialité lorraine qui anime, j’en conviens, ses recherches et son récit, ne peut ignorer que le sort de ces petits états voisins des grands ne dépend pas du hasard de quelque ambition imprudente et de quelque lutte trop vite engagée. La raison, la cause de la réunion existant toujours, l’occasion ne manque jamais; avec ou sans les Guises, il était impossible à la Lorraine d’éviter la puissante attraction de la France. Le voisinage l’y soumettait; les mœurs, les usages, la langue, l’y préparaient chaque jour, et loin d’imputer une adjonction inévitable à telle ou telle rencontre d’événemens ou d’hommes, on doit s’étonner que cette adjonction si naturelle ait été si tardive.

Cela tenait, il faut le dire, à ce qui s’est considérablement affaibli de nos jours, à la puissance du droit public dans l’ancienne Europe, et par conséquent aux difficultés, à la lenteur de toute modification dans ce droit, de tout changement dans l’état des souverainetés et la répartition des territoires. Le seul traité de Vienne, dans notre siècle, a transféré, morcelé, accru ou absorbé plus de possessions antérieures, plus de statu que préalables que l’Europe n’avait vu de changemens pendant une durée de plusieurs siècles.

C’est ainsi, c’est en vertu de cet état des esprits que l’ancienne France avait mis tant d’années et pour ainsi dire tant de procédés successifs à s’approprier la Lorraine, travaillant d’abord à la détacher de l’Allemagne, puis à la dominer par son alliance, puis à la cerner et à l’isoler comme par autant de postes jetés en avant d’elle, puis à y séjourner militairement sur quelques points, à diverses époques, enfin à la couvrir et à l’enclore par des conquêtes durables, lui laissant même, en-deçà de ses conquêtes, une existence distincte et intérieurement indépendante, jusqu’à l’heure où, de l’état de suzeraineté amie et de principauté de famille, on la fit passer, en 1766,