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plus générales, elles effacent tout ce qui donnait un cachet aux styles des diverses nations. Quand l’artiste, devant son chevalet, fait abnégation de lui-même et de ce qu’il peut sentir pour se changer en un simple instrument de précision; quand l’idée fixe de transcrire la chose qu’il a sous les yeux ne lui permet pas de garder une seule pensée pour les relations harmoniques des couleurs, pour ce qu’elles permettent sur une surface plane et pour ce qu’elles défendent, il se ferme lui-même le vaste domaine que l’art ouvrait à son imagination et à ses facultés créatrices; il renie son individualité, et s’il avait en lui une divine étincelle, il l’étouffé. De la sorte, l’originalité disparaît, la nationalité aussi; toutes les œuvres prennent un air de ressemblance, un aspect banal. Les tableaux historiques de M. Ward ne se distinguent plus des tableaux de M. Delaroche. Leurs différences se réduisent à des minuties sans intérêt; elles ne consistent plus en de grandes qualités fortement accentuées, et nous ne nous soucions point de les rechercher ou de les relever. Cependant nous ne devons pas oublier que le drame et la vérité ont pour eux le suffrage universel; c’est là un fait établi; la majorité fait la loi, et devant la voix du peuple beaucoup s’inclinent comme devant la voix de Dieu. Quoique la divine clameur ne vaille guère mieux que l’aboiement ordinaire des dogues, ainsi que la nommait Shakspeare, il peut se faire que la meute soit sur la véritable piste, et qu’il sorte de là quelque chose de bon. Pour le moment, nous attendons, car jusqu’ici nous n’avons pas vu de raisons suffisantes pour nous convertir à la foi de l’art nouveau, ni pour admettre la souveraineté du jugement populaire. Nous ne pouvons considérer l’opinion générale que comme un faisceau d’opinions individuelles qui isolément nous inspirent peu de respect, et tout en reconnaissant volontiers que les peintres dramatiques et réalistes ont montré des facultés supérieures, nous pensons que, si le sens artistique eût été plus dominant chez eux, ils auraient vite rompu avec les calculs et les entraves du drame pour rendre l’art à ses propres inspirations.

Après ce que nous avons dit sur l’abandon des études sérieuses en Angleterre, on peut s’attendre à trouver la sculpture fort en arrière de la peinture et assez négligée. Elle ne figure que dans deux des cinq expositions de Londres, et elle y tient une petite place. Le ciseau n’est pas aussi docile à la main que la brosse; il ne faut rien moins qu’un courage obstiné pour le réduire à l’obéissance, et lors même qu’il est dompté, ce sont les graves commissions qu’il exécute le plus volontiers; pour les légers services, il reste toujours gauche, sinon impuissant. Pour le peintre, il est comparativement facile de déguiser beaucoup d’ignorance et de vain travail sous quelques touches ingénieuses et quelques jeux de couleurs; mais les adroits