Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/651

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un enfant qu’il était, et le silence qui l’enveloppait lui parut sacré, imprégné qu’il était d’elle. Il entendait presque les battemens de son cœur, tant elle était près de lui!... Dans cette nuit cependant il put mesurer l’étendue de sa passion pour cette femme. Son cœur, ainsi que l’autel des Israélites du saint livre, bien que saturé de la pluie de ses larmes, s’enflamma de nouveau dès que descendit en lui le feu du ciel. »

Ce passage, qui ne manque ni de vérité ni de beauté, manque, selon moi, d’à-propos. Il n’est pas à sa place, non plus que le rêve qui, lorsque Flemming s’endort vers le matin, lui montre Mary Ashburton dans un vague avenir revenant sur son refus, et, souriante, lui tendant la main. Je n’ignore pas que la vérité des faits vient à l’appui de ce songe prophétique, — que Paul Flemming est véritablement Henry Longfellow, et que la vie du poète se partage entre un cruel désespoir, une détermination vigoureuse et un bonheur d’autant plus immense, que bien des années s’étaient écoulées à essayer d’y renoncer; mais cette réalité-là est précisément celle dont on se passe le mieux et qui apprend le moins. La vérité psychologique, si éclatante et si intéressante à suivre pendant tout le récit, est comme troublée par la soudaine intervention d’incidens que rien n’appelle, et ce dernier chapitre gêne l’idée complète, harmonieuse, que laisse la lecture des autres parties du roman.


Nous venons surtout de rechercher dans M. Longfellow ce qui fait sa supériorité comme écrivain américain. Nous voudrions, en terminant cette étude, nous placer à un point de vue plus général, et montrer, en dehors des influences de race, les facultés qui marquent à l’auteur d’Hypérion un rang à part dans l’ensemble du mouvement intellectuel de notre siècle. Ces facultés sont le jugement et l’inspiration répartis avec une égale puissance. Bien des poètes prennent l’habitude d’habiller de vers dont la sonorité trompe l’oreille des pensées qui parviendraient tout aussi entières au sens du lecteur par le moyen de la prose; mais on ne saurait prétendre ceci d’aucune des poésies de Longfellow. Elles viennent évidemment au monde telles qu’elles sont, inséparables d’idée et de forme. Loin de se laisser fabriquer petit à petit, on sent qu’elles surgissent toutes faites déjà, et qu’au lieu d’obéir à leur créateur, elles le dominent bien plutôt. Cette notion de la nécessité me semble inaliénable de l’idée de l’inspiration; sans elle, point de spontanéité, point de verve.

Le don de l’inspiration étant reconnu à Longfellow, il ne sera pas moins aisé de mettre en évidence les précieuses qualités qui s’y joignent : — un profond jugement et un sens critique des plus fins. Les exemples de cette dualité de dons intellectuels sont fort rares