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le premier rayon consolateur ? Qui le sait ? « Il s’opère, dit-il, dans la vie de chacun de soudaines transitions qui semblent presque miraculeuses. D’un seul coup se dissipent les nuages, le vent tombe, et la sérénité succède à la tempête. Les causes de ces changemens travaillent sans doute sourdement en nous depuis bien longtemps, mais eux-mêmes n’en sont pas moins presque instantanés, et sans raisons suffisantes la plupart du temps. » Il en fut ainsi avec Paul Flemming : il se promit soudain à lui-même de sortir vainqueur de la lutte, d’être un homme parmi les hommes, et non pas un rêveur) parmi les ombres. « Je travaillerai, se répétait-il, et je prendrai patience avec tout… Mais pourquoi n’avoir pas résolu cela plus tôt ! — Le pouvais-je ? Ce but, ne saurait-on jamais l’atteindre que par la plus réelle, la plus dure expérience ? Hélas ! il faut donc que le temps, de sa main terrible, ait arraché la moitié des feuilles au livre de la vie et les ait livrées au feu dévorant des passions, pour que l’homme s’effraie du peu de pages qui y restent et qu’il songe à ce qui est écrit dessus ! Son plus grand désir alors est de retrouver les annales de son enfance ; il veut y revenir à toute force et ne le peut. Ensuite viennent l’irrésolution, l’inaction inévitable, le désespoir infécond, ou bien la ferme résolution de reprendre le livre et d’inscrire sur les pages qui restent une histoire plus noble, plus utile et aussi pure que celle qui en fait le premier chapitre. »

Voilà la vraie fin du livre, celle qui satisfait le lecteur pleinement, et après laquelle on n’a que faire de tout ce qui peut survenir aux personnages qui ont atteint le but de leur existence poétique. Je me sens donc fort disposé à critiquer certain chapitre de conclusion intitulé Dernière Douleur, qui, je ne l’ignore pas, charme au plus haut degré les neuf dixièmes des lecteurs, mais que je ne saurais qualifier autrement que de superfétation. Pendant son voyage d’adieu à travers l’Allemagne et la Suisse, voyage dont le terme est l’Amérique, le retour à la patrie, le héros d’Hypérion se trouve un soir porte à porte dans une auberge avec une voyageuse inconnue. Une voix dans cette chambre voisine dit tout haut des prières de l’église anglicane. C’est la voix de Mary Ashburton, et, on le comprend, la résignation de Flemming soutient un rude assaut. « Son premier mouvement, dit l’auteur avec une grande vérité, n’était dû qu’à l’affection seule, une affection illimitée, irrésistible, insensée, l’amour qu’il sentait autrefois dans la verte vallée d’Interlaken. Il n’attendit qu’un moment de silence pour accourir auprès d’elle et jouir un seul instant du bonheur de la revoir. Puis son orgueil se redressa et lui reprocha sa faiblesse. Il se rappela ses grands projets et rougit de son irrésolution. La voix se tut, et il ne bougea pas. L’orgueil s’était donc jusqu’ici assuré la victoire !… Il se jeta sur son lit comme