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vraiment allemand que ce blond et aristocratique jeune homme, « mélange où se confond de tout un peu. » Hautain et bon enfant, superstitieux et sceptique, plein d’aptitudes, inconstant, paresseux et romanesque, grand partisan du réel au demeurant, tel est le baron. De sa voix viennent les premiers accens qui proclament la supériorité de l’homme, la puissance et la poésie de ce qui vit, de ce qui est. « Vous cherchez, dit le baron, où le penseur doit vivre ? dans la solitude ou dans le monde ? au milieu du verdoyant silence des champs où il peut entendre battre le cœur de la nature, ou bien dans la sombre cité où il sentira battre le cœur de l’homme ? Moi, je vous répondrai tout de suite : dans la cité. Ceux qui s’imaginent que la seule poésie des villes est dans les étoiles se trompent fort, comme on se trompe aussi à vouloir reléguer les penseurs et les poètes dans le désert ou sous les arbres des bois. Personne ne songe à nier la beauté des formes de la nature; les forêts et les flots, les champs de blés et les montagnes, nous en admettons tout le charme, mais au fond que sont-ils, sinon les décors du théâtre ? Sublime en effet est le monde dont Dieu nous a entourés, mais que bien plus sublime encore est celui qu’il a mis en nous !... Voilà le vrai pays de la Muse, voilà la véritable patrie du poète! Ce torrent de la vie, endigué dans les grands centres du mouvement général et charriant des existences brisées en manière d’épaves!... tant de familles tournant chacune autour de son foyer ainsi qu’un monde autour de son soleil!... tant d’aspects différens de joie et de souffrance enserrés dans un étroit espace, — voilà le milieu du poète ! Se mêler à tout ceci, en être une portion active, voilà sa destinée. Il doit agir, penser, se réjouir et s’affliger avec ses semblables et non pas s’isoler loin d’eux. Pour peindre les hommes, il faut vivre avec les hommes. »

Il entre évidemment dans le dessein de l’auteur de faire comprendre tout ce qui manque à la première douleur de son héros, tout ce qui empêche qu’elle ne soit féconde et ne le transforme. La mort lui a enlevé celle qu’il aimait, et il croit au désespoir, mais il l’aimait ainsi que l’on aime au début de la vie, — de sentiment seulement, — et ce qui en lui est vraiment souverain, ce qui le domine et l’élève n’a jamais connu cette bien-aimée du cœur. Jean-Paul dit quelque part : « L’amour n’est qu’une plante parasite, qui dans chaque caractère trouve où se cramponner, » et ceci est exact, mais on n’examine peut-être pas assez minutieusement la cause latente de destruction que portent en eux les neuf dixièmes des attachemens de ce monde. L’homme aime, perd l’objet aimé et se croit de bonne foi inconsolable; il se peut qu’il le soit, mais ce n’est qu’à de certaines conditions. Tant qu’il n’a pas aimé avec ce qui prime en lui, avec ce qu’il a de plus fort et de plus subsistant, il a mal aimé et n’a pas aimé définitivement. Un homme chez qui le cœur