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trouverait-on plus d’un rapport entre la Mary de Longfellow et cette autre Mary si adorée, si chantée, qui fut l’épouse de Percy Shelley. J’entends ceci en tant que femmes seulement, car je ne sache pas que Mme Longfellow ait jamais rien écrit. — C’est chez l’une, comme c’était chez l’autre, même élévation et même profondeur, même enthousiasme contenu, même sérénité parfaite. Je ne serais donc pas éloigné de croire que Longfellow ne dût une partie de sa vraie supériorité à l’influence inévitable résultant de son union de toutes les heures avec une nature aussi calme et aussi élevée. On sent la jeunesse du poète américain dans chaque ligne qu’il écrit, mais la jeunesse forte, intelligente, arrivant par l’excès de l’élévation même à la modération, et puisant la tolérance dans l’étendue du savoir. Ce que j’admire surtout, c’est l’exquise pureté qui nulle part ne fait défaut, l’inspiration qui ne craint pas de s’affaiblir ni de s’affadir en proclamant que rien n’est au-dessus du devoir, et qui dans ce qui est honnête sait trouver une énergie, une expansion que tant d’autres ont cru inséparables de ce qui ne l’était point. C’est cette pureté même qui permet de porter dans l’étude de l’humanité une franchise inconnue à des écrivains qui, tout en aimant la vérité, s’en inspirent avec une timidité que repousse l’instinct de notre siècle. En Angleterre même, la société a ouvert les yeux et n’entend plus désormais qu’on la traite en aveugle. Les conventions ont croulé, on s’est avoué sa faiblesse (pas immense dans un pays protestant), et on a compris qu’il est aussi immoral de nier l’influence des passions qu’il est niais de prétendre qu’à force d’ignorance on y échappera. Nul être intelligent n’aime le mal pour le mal, mais en fait de littérature on a tenté d’y contraindre le public en lui prêchant l’infériorité du bien, son absence de couleur, de force, de vie en un mot. Cette erreur disparaît journellement devant un plus grand développement intellectuel, et c’est peut-être, comme le dit Shelley, «la laideur du vice qui établit la moralité de l’art. »


II.

La preuve de cette alliance possible entre ce qu’il y a de plus entraînant et ce qu’il y a de plus pur se trouve un peu partout à cette heure, mais nulle part plus que chez Longfellow. Prenez pour exemple le Spanish Student. Nous suivons ici le poète américain dans un nouveau domaine, celui du drame. Qu’est-ce que le Spanish Student ? L’histoire fort simple de l’amour d’un étudiant espagnol pour une danseuse, une bohémienne par-dessus le marché. Les amateurs de la littérature la plus échevelée n’auront, je pense, rien à redire à une pareille donnée. Eh bien! jamais peut-être on ne vit œuvre plus chaste et plus passionnée; — et la preuve, c’est que la femme la plus