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les limites de son talent. La race anglo-saxonne, à l’inverse des races latines, a pour la jeunesse une prédilection marquée. Loin de s’en méfier comme nous en France, elle a confiance en elle, et croit que même dans les affaires les plus sérieuses son énergie n’est jamais ni mal placée ni de trop. «Nos jeunes hommes! » ce mot que l’Américain répète si souvent et avec un si légitime orgueil, on sent qu’il veut dire « ce que nous possédons de plus fort et de meilleur. » Il est vrai que l’homme grandit plus vite et agit plus tôt en Amérique et en Angleterre. Dans ces deux pays, ce que l’homme doit être, il l’est avant trente ans, et à la longue tout y gagne, même l’art. Voilà ce qui fait que le mot earnestness, impliquant ardeur et dignité à la fois, peut servir de devise à l’école anglo-saxonne tout entière.

On se sent forcément amené à ces considérations chaque fois qu’on ouvre un livre de quelque valeur, soit anglais, soit américain. Il est impossible de ne pas être frappé de la vigueur saine de cette race anglo-saxonne. Exempte de tout parti-pris, elle est active sans être remuante, et par le culte également profond qu’elle a voué au beau et au vrai, elle tend tous les jours davantage à s’élever sans détruire, à se pénétrer de la conviction qu’attendre n’est point se désister. Personne plus que Longfellow ne me semble réunir toutes les qualités qui distinguent la jeune génération actuelle. Il a de commun avec Shelley ce qu’il faut pour devenir un chef d’école, et entre sa vie et ses œuvres il y a unité complète. Je dirai plus, l’histoire de sa vie a passé tout entière dans ses ouvrages, et c’est là que les esprits curieux de détails de ce genre doivent l’aller chercher. Que raconter en effet d’une existence dont le plus grand événement a été une passion profonde, contrariée pendant des années par les refus de celle-là même qui règne aujourd’hui sur l’aimable intérieur du poète ? Il y a des existences dont le propre est de remuer des mondes, selon l’expression vulgaire, mais en elles-mêmes. C’est là, je crois, le secret de la vie de Longfellow. Personne peut-être n’a plus vécu, et personne ne s’est heurté contre moins d’événemens positifs. A mon sens, la biographie de Longfellow se résume e» trois dates ; celles de sa naissance, de son mariage et de sa nomination comme professeur de belles-lettres à l’université de Cambridge, la Florence, l’Athènes des United-States, La vie de Longfellow, je le répète, c’est lui-même. En lui vous trouvez tout; en dehors de lui, rien.

Nature enthousiaste et modeste, homme du monde à la fois et poète, par la grâce de son esprit, le charme et l’élégance de ses manières, Longfellow attirerait à lui ce que la société de notre vieille Europe a de plus difficile. Jugez en Amérique s’il doit être recherché de tous ! Ajoutez à cette individualité celle non moins distinguée de son aimable compagne; vous concevrez facilement l’influence de cet intérieur sur tout ce qui l’entoure. Peut-être, en cherchant bien,