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comme si l’une et l’autre pouvaient également se renouveler, c’est le peuple le moins chevaleresque et le plus aventureux de l’univers. On se tromperait fort pourtant si on lui attribuait les défauts qui dans notre vieille société européenne accompagnent d’ordinaire l’âpreté au gain. L’Américain est bien moins égoïste que l’Anglais. L’incertitude constante de la prospérité du moment lui impose l’obligation d’assister ses semblables, dont l’appui lui deviendra nécessaire à un moment donné. « Mon mari, à coup sûr, ne sait pas combien il a de millions aujourd’hui, » me disait dernièrement une de ces élégantes transfuges des States, dont le luxe et la prodigalité étonnent Paris, « mais le courrier de demain m’annoncera peut-être que nous ne possédons plus un dollar. Ce sera alors à recommencer, mais avec des difficultés moindres que vous ne supposez; nous avons tant d’amis! » Tant d’amis ! comptez donc sur une pareille garantie pour trouver quelques centaines de mille francs sur la place de Manchester ou de Londres, si la veille votre ruine totale est constatée ! De ceci dérive aussi le premier élément du romanesque chez l’Américain, le respect du choix individuel dans le mariage. « Un duc et pair qui par intérêt épouse la fille d’un marchand de bois a pour fils des bourgeois, disait le prince de Ligne, tandis que le noble hongrois qui par amour donne son nom à une paysanne est infailliblement père de gentilshommes. » De ce point de vue, on se mésallie peu en Amérique. Un millionnaire de New-York ou de Boston s’éprend d’une belle personne, et il ne s’enquiert plus de rien, sinon de se savoir aimé; après quoi il met sa richesse aux pieds de la femme choisie par son cœur, bien certain que si le moment de la déconfiture arrive, elle partagera avec joie et vaillance ses nouvelles luttes, et que la compagne de son opulence ne se plaindra nullement d’être celle de son infortune. Le lien conjugal est peut-être le plus fort de tous chez ce peuple de travailleurs. Affranchi de bonne heure de l’intimité de famille, indépendant, presque isolé même dans ces vastes contrées de l’ouest, l’Américain ne connaît véritablement d’autre associé que l’épouse qui parcourt avec lui toutes les phases de sa destinée. De là la rareté (plus grande en Amérique qu’en Angleterre) des mariages d’intérêt. L’Anglais, beaucoup plus souvent que l’Américain, devient l’esclave et l’époux d’une de ces magiciennes dont il s’affole au point d’oublier qu’il la méprise, mais bien moins fréquemment que lui il prend pour femme la jeune fille belle, pauvre et modeste, qu’il respecte.

Et maintenant, dans quel milieu se place l’individu dont nous avons cherché à désigner quelques-uns des traits les plus saillans ? — Au sein d’une nature où tout est sans bornes, la beauté et la terreur, la grandeur et la solitude. L’Américain est né en pleine poésie, et le sublime l’entoure de toutes parts. Que pendant les temps où il