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POÈTES ET ROMANCIERS


DE


L’AMERIQUE DU NORD





HENRY W. LONGFELLOW. — TENDANCES DE LA POÉSIE AMÉRICAINE.





La race anglo-saxonne s’applique en ce moment avec une énergie singulière à manifester ses qualités intellectuelles dans leur originalité primitive, et ce mouvement se poursuit sur un double théâtre. En Angleterre, c’est sous l’influence posthume de Shelley qu’il a commencé et qu’il se continue[1] ; en Amérique, il prend un caractère plus prononcé encore peut-être d’indépendance, et si on ne peut méconnaître entre ces deux manifestations d’une même race plus d’un trait de ressemblance, on doit y noter aussi plus d’une différence essentielle. Parmi les esprits les plus novateurs de la vieille Europe, la marque du passé se retrouve à chaque pas; elle est au contraire presque toujours absente chez les écrivains les plus artistes même du Nouveau-Monde. La nature, invoquée par les Européens comme une consolatrice, comme un refuge dans la fatigue ou dans la douleur, n’est ni aimée ni comprise de même par les Américains. L’amour de l’universelle mère, ainsi que l’appellent les Allemands, est chez eux bien moins contemplatif. Procédant directement de la nature, l’Américain la connaît et l’aime, mais il n’en fait pas la confidente de ses peines, et ne lui demande surtout pas le repos. Si une grande douleur l’atteint, c’est moins de l’isolement que du travail qu’il attend la santé morale, et si l’Amérique pouvait produire un Alceste, loin

  1. Voyez, sur le Mouvement poétique en Angleterre depuis Shelley, les livraisons du 1er juillet 1853 et du 15 septembre 1854.