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cerf-volant remonte en sens inverse du vent, par l’effet même de l’impulsion de celui-ci.

C’est au temps des équinoxes de printemps et d’automne, le surlendemain de la nouvelle lune ou de la pleine lune, que les effets du mascaret se font sentir le plus énergiquement[1]. Un jour ou deux avant ou après le maximum d’effet, le mascaret est encore redoutable ; mais ensuite sa force diminue très rapidement. Pour des peuples peu familiers avec les notions astronomiques et encore moins avec celles de la mécanique et de la physique, ce devait être un prodige inexplicable que de voir le mascaret détruisant les vaisseaux d’une expédition, mais seulement à certains jours et dans certaines localités. Cette circonstance a dû se présenter dans plusieurs des invasions normandes. Si à une époque de fort mascaret des vaisseaux ont été arrêtés entre Quillebœuf et Caudebec, ils auront péri au flux subséquent, tandis que ceux dont la pose aura été plus en amont ou plus en aval auront été épargnés, et par là auront fait croire à l’effet d’une volonté surnaturelle agissant contre les victimes.

On sait qu’Alexandre rencontra à l’embouchure de l’Indus un vrai mascaret, qui a été parfaitement décrit par Quinte-Curce[2], bien qu’il fût inexplicable pour lui. Il est curieux que cette observation, recueillie sur les traces du dévastateur des Indes, soit encore la seule que nous ayons sur les mascarets de l’Indus, tandis que ceux de l’Hoogly, l’une des embouchures du Gange, sont connues de tous les marins. Il y a tel Raoul ou Rollon ou Rou, arrivé récemment du Nord pour s’établir en Normandie, qui a dû rencontrer dans la Seine tout juste les mêmes accidens que le vainqueur de l’Asie. Quant à décider lequel des deux était le plus en droit comme envahisseur de nations, je laisse ce soin à d’autres. Pour la férocité dévastatrice, je pense que le conquérant grec n’a point de rival parmi les chefs normands. Ceux-ci s’emparaient du pays pour s’y établir et le coloniser ; on voit, entre la route de Villequier à Lillebonne et la Seine, des communes encore organisées comme au temps de la conquête, où le laboureur habitant son champ même tenait d’une main la charrue et de l’autre l’épée qui lui avait conquis la terre. Dans ces curieux parages, il n’y a point d’agglomération en villages ou en hameaux. Chaque champ, chaque propriété a sa maison. La mairie, l’église, l’auberge, sont à distance, dans des enclos séparés. Les habitations couvrent toute la commune. En cas de guerre, se rendre maître de pareilles localités, dont la population est partout et nulle

  1. L’année prochaine sera signalée par de très fortes marées, qui dépasseront de beaucoup celles de cette année-ci. Le maximum aura lieu le 25 septembre 1855.
  2. Voyez, sur le phénomène décrit par Quinte-Curce et sur quelques détails du sujet qui nous occupe ici, la Revue du 1er novembre 1852.