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l’atmosphère politique, ces plaies se rouvrent et saignent. Qu’eût-ce été si l’invasion se fût prolongée, si ce fait momentané qui troubla notre existence nationale était devenu désormais la règle de notre vie ? Lorsque nous sommes enclins à trop de sévérité par intérêt, par esprit de parti, ou par mauvaise humeur politique, pensons à ce que nous ferions si nous étions placés dans les mêmes circonstances, et la réflexion nous donnera toute l’indulgence que la passion ne nous donne pas. Nous n’avons pas besoin de dire à quel parti nous voudrions voir confiés les intérêts de l’Italie, mais ce ne sont là pour nous que des opinions théoriques et froides : ceux qui ont enduré des souffrances pratiques ont des opinions un peu plus exagérées, et nous n’avons naturellement pas la naïveté de nous étonner du fait.

Peut-être d’ailleurs sommes-nous porté à l’indulgence par un goût particulier pour l’Italie. De toutes les nations malheureuses, c’est celle que nous aimons le mieux et pour laquelle nous faisons les vœux les plus ardens, et c’est celle au contraire pour laquelle le public européen a toujours montré le moins de sympathie. Le sort des Irlandais arrache des larmes d’attendrissement à toutes les bonnes âmes dévotes et pieuses, et ce sort est véritablement digne de pitié. Toute une nation en haillons, et quels haillons ! c’est là certainement un spectacle peu gai. Nous connaissons toutes les vives et charmantes qualités du peuple irlandais, mais nous ne pouvons nous dissimuler que ce n’est là après tout qu’une peuplade à demi sauvage, brillamment douée, qui n’a jamais rien fait et qui ne fera jamais rien pour l’humanité ; dès lors la destinée de ces frères celtiques doit nous toucher beaucoup moins. Tous les partis ont déploré le sort de la Pologne, et il est certain qu’on l’a injustement et cruellement traitée, que les polonais sont un brave peuple, capable de fournir de vaillans soldats, de se battre vaillamment et étourdiment, et qu’ils ont produit plusieurs héros ; mais je sais aussi qu’en plein XVIIIe siècle leurs grands seigneurs propriétaires de serfs menaient encore la vie féodale, et je ne puis plus m’étonner de la chute lamentable de cette nation. Les Espagnols ont été aussi héroïques qu’il est possible de l’être, mais je sais que leur héroïsme avait un but mauvais, qu’il était menaçant pour la liberté des autres peuples, et je dois, en gémissant, reconnaître que leur décadence est une expiation. L’Italie au contraire n’a jamais vu le flambeau de la civilisation s’éteindre chez elle. Elle a été la première des nations modernes, elle a fait l’éducation de toutes les autres, et elle brillait du plus magnifique éclat lorsque toute l’Europe était encore plongée dans les ténèbres. Nous avons généralement dans la tête un faux type d’Italien qui nous cache le véritable caractère de ce peuple, l’Italien lazzarone, paresseux, gourmand, mangeur de macaroni et dilettante sensuel, l’Italien du théâtre et