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et inanimée. Deux fois par jour, l’Océan envoie ses flots salés, qui, après avoir pénétré à plus de 50 kilomètres dans l’intérieur des terres, propagent ensuite dans l’eau douce du fleuve une onde profonde, qui est sensible au-dessus de Rouen jusqu’à Pont-de-l’Arche, situé, en remontant le cours de la Seine, à 60 kilomètres de la capitale normande. Si l’on dessine sur une carte l’effet curieux de ces marées, on verra par exemple que, tandis que la Seine au-dessus de Pont-de-l’Arche coule constamment vers son embouchure, il est des points entre Rouen et Pont-de-l’Arche, comme entre Rouen et la mer, où la rivière, poussée par la marée, remonte vers sa source ; mais au moment où ce fait se produit au-dessus de Rouen, la rivière a déjà cessé de monter aux environs de Caudebec, et de là jusqu’à quelques kilomètres de son embouchure, elle coule vers l’Océan. Là elle rencontre la marée montante, qui la fait de nouveau rétrograder vers sa source, formant ainsi des alternatives bizarres de mouvemens directs et de mouvemens rétrogrades, depuis la portion du bassin qui précède Rouen jusqu’à son embouchure dans l’Océan Atlantique. On estime que la vitesse de propagation des ondes de marée dans le lit de la Seine est environ de 30 kilomètres à l’heure. Le flot remonte de Quillebœuf à Rouen à peu près en quatre heures.

Les écrivains du moyen âge avaient déjà remarqué combien ces mouvemens alternatifs étaient favorables aux transports des marchandises et aux communications entre les riverains. De Rouen à Quillebœuf, le cours de la Seine n’est pas moins sinueux qu’entre Paris et Poissy. À chaque saillie des terres se trouve une ville ou un bourg considérable ; c’est ainsi qu’on rencontre La Bouille, Duclair, Caudebec et Lillebonne. Dans les rentrans du fleuve, il va sans dire que, le terrain manquant, la population manque de même. Dans un de ces rentrans, entre Duclair et Caudebec, sont les restes de la célèbre abbaye de Jumiéges, terrains marécageux et malsains, concédés autrefois aux moines, qui les ont assainis et mis en rapport, sans doute après avoir payé la fertilité du nouveau terroir par la vie de plusieurs colons aussi bien que par leurs travaux. Les environs marécageux de l’abbaye de Saint-Denis, près Paris, concédés également à cause de leur peu de valeur, offrent la même série d’améliorations et d’assainissemens. De tels témoignages répondent éloquemment aux préjugés qui ont longtemps eu cours sur l’ignorance des moines. C’est dans les murs des cloîtres que se conservait au moyen âge la civilisation intellectuelle et morale ; c’est là seulement que se concluaient les traités de paix, de transmission d’héritages souverains, et tout ce qui regarde la diplomatie, dont presque toutes les fonctions étaient remplies par des religieux. Le nom d’Agnès Sorel plane encore au-dessus des ruines de Jumiéges, où la cour se tint à plusieurs