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grand nombre de points de la France et de toutes les contrées aujourd’hui stérilisées par le séjour permanent de races nombreuses qui en épuisent les ressources.

Lorsqu’à la suite des expéditions militaires et des guerres prolongées, la paix venait rendre inutiles les armées des souverains, que faire de ces populations belliqueuses qui ne pouvaient reprendre les habitudes de la vie ordinaire, et qui n’auraient pas trouvé de place dans une société organisée sans elles ? Alors point d’hôtel des invalides, point de budget ; la religion seule, par les aumônes des fidèles, pouvait pourvoir à la vie de ces nombreux vétérans. Le souverain se trouvait fort à propos avoir fait un vœu à quelque saint vénéré dans le pays. Tous les soldats devenaient maçons, et sauf à laisser l’ouvrage imparfait quand le but philanthropique était atteint, on assurait le sort d’ouvriers énergiques, qui autrement eussent pu devenir très dangereux. voilà le secret de l’érection de ces immenses basiliques, qui, malgré leurs beautés architecturales, n’ont point échappé à la critique philosophique du XVIIIe siècle, où elles ont été signalées comme des monumens ruineux de superstition et d’ignorance. Ayons un peu de charité pour nos pères ; peut-être ne sera-ce que de la justice. Et de nous que pensera la postérité ?

À voir l’universalité de ces constructions, on aurait cependant dû présumer qu’un motif de profonde politique sociale leur avait donné naissance. Maintenant, s’il s’agissait d’employer à d’utiles travaux publics les vétérans de nos armées, déjà plies à la discipline et aux exigences de la vie commune, faudrait-il en faire des constructeurs d’édifices religieux, comme le devinrent ces preux du temps de Charlemagne, ces Renaud de Montauban, ces Maugis, qui finissent pieusement par servir les architectes des cathédrales ? Qu’on employât quelques vétérans à bâtir quelques églises un peu moins mesquines que les tristes constructions dont le régime municipal dote les villes modernes à la honte du plus noble de tous les arts, l’architecture monumentale, il n’y aurait pas grand mal à cela ; mais il est d’autres travaux publics où les efforts simultanés d’une masse considérable d’ouvriers, travaillant à bon marché comme font les soldats, produiraient les effets les plus avantageux. Si l’on songe aux urgentes améliorations que réclame l’immense delta du Rhône, entre Avignon, Cette et Marseille ; si l’on relève sur le littoral et le long des rivières de la France les terrains à conquérir, à consolider, à fertiliser et à assainir, on voit que l’emploi ne manquerait guère à nos émérites de la victoire. Malheureusement la plupart des localités que nous venons de nommer pourraient faire craindre pour la santé de ces ouvriers militaires. Le mieux serait donc d’établir des régimens de planteurs ; on reviendrait ainsi à une de ces théories qui, indiquées