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peuples de l’empire se grattent. O Allemands, je crains que les puces impériales ne vous coûtent plus d’un thaler.

Mais pourquoi parler d’empereur et de puces ? Le vieux costume est fané et pourri. Pour un temps nouveau, il faut de nouveaux habits.

Le poète allemand d’ailleurs Ta dit avec raison à Barberousse dans la caverne du Kyfthaüser : — À considérer la chose avec soin, nous n’avons pas du tout besoin d’empereur.

Pourtant, si voulez à toute force un empire, s’il vous faut absolument un empereur, ô chers Allemands, ne vous laissez pas séduire par l’esprit et la gloire.

Ne choisissez pas un patricien, choisissez quelqu’un de la plus basse plèbe. Il ne faut élire ni le lion ni le renard, mais le plus niais des moutons.

Il faut élire le fils de Colonia, le stupide Cobès de Cologne. Dans l’ordre de la bêtise, celui-là est presque un génie. Ce n’est pas lui qui se moquera de son peuple.

Un soliveau est toujours le meilleur des monarques, Ésope l’a montré dans sa fable : il ne nous mange pas, nous autres pauvres grenouilles, comme la cigogne avec son long bec.

Soyez sûrs que Cobès ne sera pas un tyran, ce ne sera ni un Néron ni un Holopherne ; ce n’est pas un cœur cruel à l’antique, c’est un cœur doux, un cœur moderne.

L’orgueil des boutiquiers a dédaigné ce cœur, mais l’infortuné s’est jeté dans les bras des ilotes du travail, et il est devenu parmi eux la fleur des pois.

Les frères de la Burschenschaft du compagnonnage ont pris Cobès pour président. Il a partagé avec eux leur dernier morceau de pain ; quant à eux, ils étaient tout pleins de ses louanges.

Ils disaient en le glorifiant qu’il n’avait jamais fait d’étude dans les universités, et qu’il écrivait des livres tirés de son propre fonds sans aucune faculté.

Oui, toute son ignorance, il l’avait acquise lui-même ; aucune culture, aucune science étrangère n’avait corrompu son cœur candide.

Son esprit aussi, sa pensée est demeurée complètement libre de l’influence de la philosophie abstraite. Il est resté lui-même. Cobès est un caractère !

Dans son bel œil brille une larme stéréotypée, et une épaisse sottise repose constamment sur sa lèvre.

Il bavarde et pleurniche, il pleurniche et bavarde. Toutes ses paroles ont de longues oreilles. Une femme enceinte qui l’avait entendu parler est accouchée d’un âne.

Il emploie ses heures de loisir à écrire des livres et à tricoter des bas. Les bas qu’il a tricotés ont obtenu un grand succès.

Apollon et les muses l’encouragent à se livrer tout entier au tricotage ; ils s’effraient chaque fois qu’ils lui voient une plume d’oie à la main.

Le tricot rappelle l’ancien temps des Funken[1]. Ils tricotaient dans leurs guérites, ces héros de Cologne. Dans leurs mains, le fer ne se rouillait jamais.

  1. Soldats de Cologne avant la révolution, qui tricotaient dans leurs guérites.