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régiment de Vittorio furent arrêtés, et voici à quelle occasion. Une querelle avait eu lieu entre les deux sergens, et l’un d’eux fut blessé. Le coupable avait, dans un moment de fraternité militaire, reçu les confidences de son antagoniste, qui appartenait à la société. Il résolut de révéler ces confidences dans l’espoir de gagner son pardon. Une fois le gouvernement mis sur la voie, il lui fut facile de connaître à fond toute l’affaire. On essaya d’abord d’intimider et de corrompre le sergent dénoncé, qui résista bravement. Alors on eut recours à un stratagème ; on lui lut des dépositions fausses par lesquelles il était incriminé : le sergent se laissa prendre au piège, et raconta tout ce qu’il savait. Aussitôt les arrestations se succédèrent ; César, le frère de Lorenzo, Vittorio, Sforza, furent saisis et emprisonnés, et après les arrestations vinrent, comme toujours, les jugemens des cours martiales et les condamnations à mort. Plusieurs furent fusillés dans des circonstances horribles et avec des raffinemens qui dévoilent un des plus tristes côtés de la nature méridionale, c’est-à-dire la cruauté. Les prisonniers eurent aussi, comme en France pendant la terreur, une manière de journal du soir. Parfois on s’écriait sous leurs fenêtres : « Un tel a été fusillé, demain ce sera votre tour. » Passons sur ces scènes pénibles, qui accompagnent trop souvent les répressions nécessaires, de même que l’anarchie accompagne trop souvent la liberté, et qui sont un déshonneur pour la nature humaine. Un seul incident horriblement dramatique nous suffira.


« Un prisonnier condamné à Alexandrie, et qui a survécu à son long emprisonnement dans le fort de Fénestrelle, a laissé dans ses mémoires le passage suivant : « D’abord mes livres, c’est-à-dire une Bible, un recueil de prières et l’histoire des capucins célèbres du Piémont, me furent enlevés ; puis on me mit une chaîne aux pieds, et je fus conduit dans un cachot encore plus sombre, plus humide et plus sordide que celui que j’avais occupé jusqu’alors, percé d’une fenêtre à double rangée de barreaux et fermé par une porte à double serrure. En face de mon cachot était celui du malheureux Vochieri, un autre prisonnier politique. Comme on laissait sa porte ouverte, je pus voir par une fente qui se trouvait dans la mienne ce qui se passait. Vochieri était assis sur un escabeau de bois, une chaîne pesante autour du pied, deux gardes de chaque côté, le sabre nu ; un troisième, le fusil au bras, se tenait devant la porte. Le profond silence qui régnait était terrible. Les soldats semblaient plus consternés que le prisonnier lui-même. De temps à autre, un vieux capucin venait le visiter. C’est ainsi que ce malheureux passa une semaine entière. Son agonie fut vraiment longue et terrible. Enfin il fut exécuté. Le général Galateri, gouverneur d’Alexandrie, persista jusqu’au dernier moment dans ses efforts pour lui arracher des révélations, en lui faisant apercevoir la perspective d’un pardon possible. « Délivrez-moi de votre odieuse présence, c’est tout ce que je vous demande, répondit Vochieri. » Le