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poète, placé entre la vie et la mort, les confronte et les raille toutes les deux. Quelle sera sa destinée dans ce monde mystérieux au seuil duquel la maladie l’enchaîne ? Que sera ce monde lui-même ? Sera-ce celui du moyen âge, l’enfer en bas, le paradis en haut, et saint Pierre tenant les clés célestes ? Cet anthropomorphisme, qu’il est si difficile d’éviter et dont on ne se préserve le plus souvent que pour tomber dans les vides abstractions, lui inspire des peintures bouffonnes, où s’exprime surtout, ne vous y trompez pas, l’impuissance de la pensée métaphysique. Et cette vie même qu’il va quitter, lui est-elle mieux connue ? Que d’énigmes, et quelles énigmes! pourquoi tant d’injustices ? Pourquoi tant de douleurs imméritées ? La vie lui apparaît alors sous maintes formes grotesquement odieuses, et il déroule les strophes du Négrier, ou bien il imagine un fantasque et effrayant symbole : il chante le Château des Affronts. Au milieu de tout cela éclatent des cris de souffrance. Quand sa pensée est plus calme, il cherche une forme nouvelle pour quelque idée morale, et crée des fables romantiques d’un modèle inconnu; le plus souvent il se cramponne avec désespoir au passé, ou bien il trace d’une main fébrile des tableaux parisiens; il raconte, comme il dit, ses inquiétudes babyloniennes et les concerts des chats sur les toits, se mêlant au vacarme intérieur de sa pensée; puis viennent des souvenirs d’Allemagne des satires politiques, littéraires, musicales, des portraits et des scènes charivariques, l’entrevue du roi de Prusse et du poète souabe George Herwegh, et un burlesque empereur plébéien sous la figure d’un démocrate de Cologne; car dans cette confession des heures suprêmes les fautes et les travers d’autrui jouent très souvent le principal rôle, de même que dans ces aspirations au repos le regret des jouissances matérielles, il faut bien le dire, tient une place singulièrement agrandie. Ce regret des voluptés impossibles serait même, si on le prenait au mot, la conclusion de ces pensées sur la mort. Toujours l’ironie, comme on voit, toujours le dédain de l’âme et la négation de la vertu, toujours enfin ces théories méprisantes que l’humoriste ne craint pas de s’appliquer à lui-même! Quelle que soit l’originalité des nouvelles strophes du poète, nous croyons que ce n’est là encore qu’une crise dans le développement de sa pensée. Il y a certainement une poésie plus haute pour un écrivain de cette valeur, il y a des inspirations plus sérieuses et plus consolantes pour celui qui se donne le symbolique nom de Lazare. C’est peut-être là le dernier mot de l’humour; ce n’est pas le dernier mot de M. Henri Heine.




I.
SOIF DE REPOS.

Laisse saigner tes blessures, laisse tes larmes couler sans tarir; il y a dans la douleur des débauches de volupté secrète, et les pleurs sont un baume bien doux.

Si une main étrangère ne t’a pas blessé, tu feras bien de te blesser toi-même; n’oublie pas non plus de remercier gracieusement le bon Dieu quand des larmes mouilleront tes joues.