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LIVRE DE LAZARE





Les lecteurs de la Revue savent déjà quel intérêt s’attache aux novissima verba de M. Henri Heine. C’est un étrange spectacle que celui de ce poète luttant contre les dernières souffrances, et trouvant dans l’essor de sa verve humoristique une consolation et un refuge. Au point de vue de la poésie pure comme au point de vue de la vie morale, il y a là une étude doublement instructive. Ce maître de la forme lyrique va-t-il encore faire subir à la poésie allemande des transformations inattendues ? Ce railleur audacieux, chez qui se croisent tant de sentimens contraires, sortira-t-il de la région du doute et de l’ironie, et le verra-t-on développer enfin les germes meilleurs répandus çà et là dans ses poèmes ? Telles sont les questions que s’adressent les amis de M. Henri Heine à chacune de ses publications, telle est l’anxiété qui agite particulièrement son public d’Allemagne, et qui se traduit chaque fois par des vœux, par des encouragemens ou par des reproches amers.

Les poésies que vient d’écrire M. Henri Heine, et qui paraissent dans sa patrie, à Hambourg, en même temps que nous en donnons ici une traduction française, sont un document de plus pour cette étude littéraire et morale. Si l’on ne considère ici que le poète, jamais M. Henri Heine n’a manié une langue plus nerveuse et plus souple, jamais ce mélange de simplicité familière et de fantaisie ardente qui fit la fortune du Livre des Chants n’a produit des effets plus extraordinaires. Nul écrivain depuis Goethe n’a façonné l’idiome germanique avec cette puissance magistrale; on dirait parfois de véritables tours de force. Quant au fond même des pensées, — et c’est là surtout ce qui intéresse le lecteur français, puisqu’une traduction ne saurait rendre ni les hardiesses ni les dextérités de cette langue originale, — il semble qu’on y entende le cri suprême de l’inspiration humoristique. Ce sont comme les songes de la fièvre, c’est comme le délire de la souffrance. Tantôt des satires bouffonnes se mêlent à des plaintes d’une amertume poignante, tantôt le