Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/521

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hypocrite, pleine d’afféterie ; il lui faut le grand bruit, le brillant, l’effronterie. C’est ainsi une philosophique manière de montrer les deux espèces de femmes qui se disputent le royaume d’amour. Tout y va au fait, tout y est simple, réel, brutal. La caricature y est double. Dans la forme, c’est la caricature des cérémonies de dame Justice ; dans le fond, c’est la satire des poésies amoureuses, c’est le voile arraché à tous ces poèmes, romans, chansons, où l’on cache hypocritement sous la langueur, sous les plaintes modulées et les gémissemens imbéciles, ce qui n’est en définitive que passion matérielle, emportement de la chair et des sens.

Après ces deux pièces parurent probablement ces monologues du Puys, de la Botte de Foing, du Gendarme cassé. Pourtant ces ouvrages, qui ne portent pas de date, vinrent peut-être plus tôt. Dans le monologue du Puys surtout, on trouve quelque chose de moins arrêté et de moins brutal ; on croirait que l’auteur n’a pas encore foi en son genre, et c’est là qu’on rencontre le plus de souvenirs de la jeunesse et de l’université. En tout cas, ces monologues sont un genre inventé par Coquillart, un genre qui tient le milieu entre le conte et la farce, destiné, comme le conte, à narrer quelque aventure scandaleuse, mais ressemblant fort à un dialogue récité par un seul personnage. C’était, autant qu’on en peut juger, des sortes d’intermèdes qui prenaient leur place au milieu des danses et des festins de la nation rémoise, et on peut les regarder comme les bouquets à Chloris, les chansons de dessert de la bourgeoisie au XVe siècle. Le meilleur de ces monologues est incontestablement celui du Gendarme cassé. Les gens d’armes avaient toujours été, nous l’avons vu, les ennemis particuliers des Rémois, tout dernièrement encore ils avaient fort maltraité le pays environnant ; peut-être y a-t-il là quelque souvenir de Cochinnart ; aussi le gendarme est-il représenté d’une âpre façon. C’est bien l’ignoble soudard, le vieux routier qui a perdu le respect de toute chose, avec ses observations de mauvais lieux, ses opinions et études de mœurs qui sentent la taverne et le pillage. C’est lui naturellement qui a mission d’exposer les plus rudes exemples, les plus odieux caractères de femmes, et c’est dans sa bouche que le poète met la plus amère satire contre cette fièvre de luxe qui attaquait la bourgeoisie.

Cette poésie, toute cynique qu’elle fût, était loin d’avoir porté atteinte à la gravité du jurisconsulte. Le 10 octobre 1481, Regnault Doulcet, lieutenant-général de M. le bailly de Vermandois, confie à Coquillart ainsi qu’à trois autres hommes de loi le soin de mettre par écrit toutes les coutumes de Reims : ce travail lui valut à peu près de 35 à 50 sols par jour, grosse somme ; mais après l’affaire sérieuse revint la caricature, qui lui apporta plus d’honneur que l’autre ne lui avait apporté d’argent. Les Droits Nouveaulx, qu’il commença vers cette époque, sont le plus long et le plus original de ses ouvrages. Le grand travail de réforme qui se faisait dans le droit et dans la discipline ecclésiastique lui donna l’idée de cette joyeuse satire, qui peut être considérée comme une charge de la Somme de quelque Me Drogon de Hautvillers, ou bien comme une caricature des cours et arrêts d’amours, surtout des Aresta amorum de Martial d’Auvergne. Il y a sans doute là aussi une arrière-pensée de comparaison entre le vieux monde chrétien, grave et moral, que lui avaient fait entrevoir les leçons maternelles, et la futilité des