Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien une société secrète pure et simple, c’est-à-dire une chose en dehors de la vraie société, une chose que celle-ci doit ignorer, dans laquelle ses représentans ne peuvent entrer, et par conséquent dirigée contre elle. C’est une œuvre souterraine et de ténèbres, dont les dogmes doivent demeurer ignorés du monde et conquérir le monde par surprise. La recommandation que fait Fantasio d’éviter avec soin les noms célèbres et les influences reconnues est significative et tout à fait caractéristique de ce plan révolutionnaire. Fantasio veut régénérer la société sans s’appuyer sur les élémens de cette société. Ambition chimérique ! les philosophes discutent encore pour savoir si Dieu lui-même a pu tirer la création de nihilo.

Dès le soir même, les amis de Fantasio se rassemblèrent, et le plan fut adopté avec enthousiasme. Cinq jeunes gens exaltés et sans expérience furent les premiers fondateurs de l’œuvre souterraine qui devait faire tant de mal à la cause italienne, exciter tant de soulèvemens intempestifs, donner lieu à tant de répressions cruelles, ouvrir tant de chemins d’exil et dresser tant d’échafauds. Les larmes viennent aux yeux lorsqu’on pense au sort qui attend tous ces braves enfans, victimes futures des chimères d’un rêveur politique et d’un artiste en conspirations. Vertueux et étourdi Fantasio ! que de choses fatales contient le fameux message remis à Lazzarino ! Fautes politiques irréparables, hécatombes humaines, tombes prématurément ouvertes pour recevoir tes amis d’enfance, condamnations à mort, fusillades, espérances italiennes déçues, inutile révolution de Florence, insensée révolution romaine, bataille de Novare, défection et trahison, tout cela est contenu dans ce funeste message, — et pourtant quels amis dévoués, dignes sinon d’une meilleure cause, au moins d’un meilleur chef ! «Je vous remercie, mes amis, dit César de frère de Lorenzo, qui venait d’être nommé chef de la société par acclamation), et maintenant à la besogne ! J’ai le pressentiment que peu d’entre nous verront le résultat final de nos efforts ; mais la semence que nous avons lancée germera après nous, et le pain que nous avons jeté sur les vagues surnagera et se retrouvera un jour. » Pauvre César ! un jour, dites-vous ; jamais peut-être ! Quant à cette semence, elle ne produira que des moissons stériles. Cette prophétie n’est vraie que par un certain côté : peu d’entre vous verront la fin de ces efforts. « Combien de fois, ajoute Lorenzo, je me suis rappelé ces paroles et le sourire mélancolique qui les accompagna ! » Puis les amis se séparent comme les apôtres après la mort du Christ, pour aller porter la bonne nouvelle et les lettres de Fantasio aux localités avoisinantes. La société grandit rapidement par l’accession de membres d’autres affiliations qui acceptent sans hésiter le credo de Fantasio. « Une secte se fondant avec un capital de cent