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marais à dessécher, des colonies à fonder. Je ne les traiterai point en esclaves, je leur paierai un salaire exact et convenable, et je rendrai à la liberté ceux qui en seront dignes. » Tel est le langage que pourrait bien un jour tenir l’état, lorsque toutes les expériences auront été vaines, et lorsqu’on se sera aperçu enfin qu’une salutaire sévérité est l’unique moyen de vider cette grande et terrible question.

Je dirai de la charité privée et publique ce que je dis du gouvernement. Tous les ans, des sommes énormes sont dépensées en aumônes infructueuses. La société donne beaucoup, mais d’une manière inintelligente et stérile. On se croit quitte de tout devoir, lorsqu’on a versé à son bureau de bienfaisance, à son église, à sa municipalité, l’argent qu’on destine à secourir l’infortune; mais donner n’est pas tout, il faudrait encore, et c’est là l’affaire importante, surveiller l’emploi et administrer la distribution de ces dons. Aucun système efficace et sensé n’a jusqu’à présent été mis en pratique pour faire sortir un bien réel de toutes ces taxes des pauvres dont notre société sent chaque année le fardeau peser un peu plus lourdement. Le riche donne parce qu’on lui demande, et jette d’une main indifférente sa pièce d’or dans le tronc qu’on lui présente; d’autres donnent par sensibilité nerveuse, d’autres parce qu’ils ont peur, d’autres enfin pour satisfaire à un devoir individuel. Toutes ces manières de donner sont stériles. Une seule serait fructueuse, donner en demandant compte de l’emploi du don et en surveillant l’aumône jusque dans la main qui la reçoit. De leur côté, les administrations gaspillent en secours dérisoires, qui ne peuvent pas même être pour ceux qui les reçoivent un soulagement de quelques jours, en bons de pain, en distribution de vivres, les fonds qui leur sont non pas confiés, mais abandonnés. Est-ce qu’un bon système de travail établi une fois pour toutes ne serait pas mille fois plus utile ? Est-ce qu’on ne pourrait pas, au lieu de ce gaspillage, ouvrir certains travaux permanens ? Il semble qu’on pourrait aisément remédier à cet état de choses en établissant dans chaque préfecture une espèce d’office des travaux publics départemental, qui, administré sévèrement, concentrerait toutes les aumônes et tous les dons qui vont se perdre inutilement dans l’océan infini de la mendicité et de la paresse. Si la charité en France avait de l’activité et de l’initiative, nous ne ferions pas ces observations ; mais notre charité est sentimentale ou indifférente : elle n’a pas d’idées, pas d’ardeur, pas de persévérance. Le Français n’a que deux manières de faire le bien : il le fait avec insouciance ou par sensibilité. Étant donné le caractère national, on n’a donc rien à attendre des individus dans cette question, et on doit tout attendre de l’état : résultat fâcheux certainement, et auquel il faut se résigner par logique, mais par logique seulement, car l’initiative individuelle,