Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

père de famille, qui ne peut réclamer, et dont toutes les douleurs sont vaines. Par arrêt de l’état, on m’exproprie forcément d’une maison qui m’est chère, et d’où je ne veux pas sortir. Une personne morale invisible, insaisissable, que je ne connais pas, que je ne connaîtrai jamais, nommée le gouvernement, m’impose tous les jours de l’année des taxes, des charges, des devoirs. Je suis l’esclave de cette personne morale, parce que j’ai un rang dans la société, un champ, une terre, une chaumière, un métier. Que fera-t-on alors de l’homme sans aveu, du vagabond, du mendiant, si l’on agit ainsi avec moi ! Sans doute on le prendra sans autre préambule pour en faire forcément un être honnête, si cela est possible, et dans tous les cas pour en faire un être utile. Eh bien ! non. L’état, qui n’a pas, qui ne peut avoir pour ces populations infimes l’esprit de charité du prêtre, qui ne peut donner au mendiant ni conseils, ni paroles affectueuses, se borne à le faire surveiller par sa police et juger par ses tribunaux, s’il s’est rendu coupable de quelque délit! Quelle contradiction bizarre! On laisse le mendiant et le vagabond libres de mourir et de céder aux tentations de la misère, d’être criminels à plaisir, et en vérité on peut dire qu’il n’y a pas dans la société moderne de liberté plus respectée que celle de l’homme qui n’a que faire de la liberté, ou qui ne peut en faire qu’un mauvais usage!

Cependant cette question de la mendicité et du vagabondage, du paupérisme, comme on dit en langage d’économie politique, est une de celles où le gouvernement moderne, tel qu’il est constitué, peut faire le plus de bien. On vient de voir qu’une simple mesure de police prise par sir Robert Peel avait suffi pour restreindre considérablement l’industrie des voleurs de profession à Londres. Le pouvoir peut faire d’autant plus de bien, que cette question est une de celles qui excluent la sensibilité et cette niaise compassion qui ne sont pas précisément les défauts des gouvernemens modernes. Elle demande au contraire de la rigueur, de la sévérité, une certaine dureté de justice, et commande presque qu’on fasse violence aux sentimens naturels à l’homme pour donner satisfaction à ces mêmes sentimens. Les gouvernemens, en un mot, doivent et peuvent se donner un droit suprême sur ces populations qui vivent à la merci du hasard; ils le doivent au nom de l’humanité et en dépit de toutes les doctrines de libéralisme imbécile qui courent le monde, car le mal moral et la faim ne sont point des choses auxquelles on puisse appliquer les fausses doctrines du laissez faire et du laissez passer. Il nous semble que l’état pourrait dire un beau jour, sans interpréter trop arbitrairement l’étendue de ses droits : «On a de notre temps réclamé un droit nouveau pour l’homme, c’est le droit au travail, et je consens à le reconnaître, si en même temps on veut bien