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un grand crime avait été commis. Lorsqu’un watchman avait fait ce qu’on appelle chez nous une bonne prise, c’est-à-dire lorsqu’il arrivait avec un certain nombre de vauriens, on lui disait volontiers le mot de Talleyrand : Pas tant de zèle ! Bref, les incidens qui se passaient dans ce quartier auraient fait pâlir les plus brutales inventions de M. Sue lui-même. Clerkenwell n’a plus le même aspect. Le système de police inauguré par Robert Peel a porté un grand coup à ces mœurs infâmes et à cette impunité. « Voyez-vous, monsieur! disait un voleur converti à M. Vanderkiste; j’aimerais mieux un son de pain gagné honnêtement que toutes les bonnes prises qui peuvent vous arriver de l’autre manière. Vous n’êtes jamais en repos; au moindre bruit que vous entendez, vous vous figurez que quelque peeler (policeman) vient pour vous saisir! » Ce vigilant policeman, auquel rien n’échappe, que vous rencontrez dans toutes les rues de Londres, qui semble se multiplier et jouir du don d’ubiquité, a donc accompli plus de miracles de conversion que le bon M. Vanderkiste n’en accomplira jamais, et ceci nous conduit à exprimer une pensée vraie et sensée, bien que quelques personnes puissent la trouver dure, mais une pensée qu’il faut exprimer plutôt en vue de la société française, où le pouvoir de l’état est tout et celui des individus rien, qu’en vue de la société anglaise, où l’initiative individuelle a tant de puissance. Si on arrive du reste à cette conclusion, qu’en Angleterre même l’initiative individuelle est impuissante dans cette question, et que la plus simple mesure d’administration a plus d’efficacité que les efforts de la brûlante charité, on doit naturellement croire à l’impuissance de la charité en France.

Il est évident que la société moderne, laïque, protestante, la société régie par le pouvoir temporel de l’état, gouvernée administrativement, a et doit naturellement avoir pour les mendians, les vagabonds et les classes infimes une plus grande aversion que l’ancienne société catholique, soumise à la direction du clergé. Le gouvernement laïque à la manière moderne a tout à la fois plus d’esprit de justice et moins d’esprit de charité que le gouvernement ecclésiastique. Quand il prend une mesure, il ne s’inquiète pas de savoir combien de personnes elle blessera; il n’a qu’à se demander si elle est juste et prudente. Gouverner avec régularité, avec exactitude, sans tenir compte des détails et des individus, tel est son but. Or il est assez singulier que tandis que le pouvoir fait sentir son action rigide et sans appel à toutes les parties saines de la société, les classes infimes soient les seules qui, par une faveur bizarre, soient exemptées de cette compression terrible. Le percepteur vient réclamer à jour fixe ses contributions, et n’a ni un jour ni une heure à accorder à celui qui ne peut pas payer. La conscription enlève ses enfans au