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un fait significatif qui montre avec quelles armes il faut désormais combattre certaines aberrations religieuses. Sans rentrer dans le récit des hallucinations, qui n’aurait plus rien à nous apprendre, il est utile cependant de citer deux exemples qui mettent cette vérité en évidence.

Les bénédictines du Saint-Sacrement, enfantées par les rêveries de Catherine de Bar, sont aujourd’hui un ordre voué à l’enseignement et tenant des maisons d’éducation remarquables par la bonne instruction qui s’y donne. Les institutions fort nombreuses qui sont placées sous l’invocation du Sacré-Cœur, et qui jouissent d’une estime méritée, sortent, pour ainsi dire, des hallucinations de Marie Alacoque. Marie ou plutôt Marguerite Alacoque, car tel est son véritable nom, est l’institutrice du genre de dévotion appelé culte du Sacré-Cœur de Jésus et de Marie. L’acte fondamental de ce culte consistait dans la donation réciproque que Jésus-Christ et la sœur Alacoque, religieuse de la Visitation de Parai-le-Monial, s’étaient faite de leurs deux cœurs. La mère Greffier, supérieure du couvent, voulut bien, pour obéir à Jésus-Christ, écrire la donation de Marguerite. Jésus-Christ en fut très satisfait, et il dicta à son tour la sienne à la sœur Alacoque, qui l’écrivit de son sang en ces termes : « Je te constitue héritière de mon cœur et de tous ses trésors pour le temps et pour l’éternité; je te promets que tu ne manqueras de secours que lorsque je manquerai de puissance. Tu seras pour toujours la disciple bien-aimée, le jouet de mon bon plaisir et l’holocauste de mon amour. » Voilà pour- tant l’acte extravagant qui a servi de base à l’établissement d’un culte auquel la piété a su faire porter d’heureux fruits !

Des faits du même genre ne sont pas rares dans l’histoire des religions. Des institutions utiles et morales parviennent à se greffer sur des superstitions et des rêveries qui, prises en elles-mêmes, supporteraient à peine l’examen. On oublie bien vite l’idée primitive pour ne plus s’attacher qu’aux bienfaits qui s’y sont substitués, tant il est vrai que le bon sens garde toujours ses droits, et que tôt ou tard il finit par déposséder la crédulité et l’extravagance; mais en se purifiant, en se dépouillant peu à peu de leur caractère originel, ces institutions religieuses n’en perdent jamais complètement l’empreinte, et sitôt que la raison cesse de veiller, l’on voit reparaître les folies et les écarts primitifs. Pour conjurer un semblable danger, il n’est point de moyen plus sûr que de montrer les faits dans leur vérité historique, et, tout en rendant justice à l’esprit qui a métamorphosé ces œuvres de la dévotion, de ne point dissimuler cependant ce qu’il y a eu de puéril et d’affligeant parfois dans leur origine : c’est ce que nous avons essayé de faire pour la stigmatisation.


ALFRED MAURY.