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la moralité que nous tirons de la lecture de leurs ouvrages est bien différente. Nous n’avons retracé l’histoire et le mode de production du phénomène que pour découvrir les causes de cette maladie intellectuelle qui s’est répandue comme une épidémie. Une aberration de la vie d’un grand saint est devenue le point de mire d’une foule d’esprits ignorans et fanatiques. L’aberration, au lieu de rester isolée, est ainsi passée à l’état de contagion. L’orgueil et la fraude se sont ensuite entendus pour la propager. Une littérature mystique, une suite de biographies laudatives, de panégyriques, ont répandu, popularisé l’histoire de la stigmatisation, et cette littérature est devenue l’aliment de natures faibles auxquelles elle a tourné la tête. Les biographes des stigmatisés se sont bien gardés de laisser entrevoir à leurs crédules lecteurs qu’il pouvait y avoir dans la stigmatisation un simple fait morbide, un effet de quelque hallucination. Toutefois l’église paraît avoir compris que la piété s’était étrangement fourvoyée; elle a prudemment évité de donner au miracle de la stigmatisation un grand retentissement, et les stigmatisés contemporains, au lieu d’être glorifiés comme ceux du moyen âge, n’ont pu recueillir que l’obscure admiration de quelques dévots.

Quel remède apporter à une maladie qui s’est montrée si vivace jusqu’à nos jours, qui pourrait peut-être se répandre davantage par un de ces retours vers les idées du moyen âge dont nous sommes parfois menacés ? Il en est un peut-être : c’est de détourner sur un sol moins stérile le courant des sentimens affectueux et tendres qui débordent chez les stigmatisés, c’est de trouver à leur élan une direction encore en harmonie avec leur nature, et qui ne soit pas cependant ce travail intérieur qui anéantit graduellement le corps sous l’influence de l’esprit. Les mystiques extatiques sont d’ordinaire des âmes aimantes, en quête d’émotions plus chastes que les amours terrestres. Ces émotions ne font pas défaut dans le domaine de la charité pratique, dont les ressources et les moyens sont inépuisables. C’est à ceux qui choisissent la tâche difficile de diriger les consciences que revient ce rôle ou ce devoir. Au lieu de se faire les complices des pieuses extravagances dont on leur confie le secret, les confesseurs ont à faire prévaloir, dans les conseils qu’ils donnent à leurs pénitens, un bon sens pratique et un encouragement aux bonnes œuvres. C’est du reste ce qui s’opère déjà en plus d’un point. Les règles monastiques, dont plusieurs ont été conçues sous l’empire des aberrations mystiques, cèdent peu à peu à l’influence des idées modernes, et la vie pratique a gagné dans les cloîtres tout ce que la vie contemplative a perdu. On pourrait citer bien des exemples d’imaginations ridicules sur lesquelles a construit la charité. Cette transformation des stériles créations du mysticisme en institutions bienfaisantes est